Archive pour la catégorie 'L’Antiquité'

L’école pythagoricienne

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L’école pythagoricienne a marqué l’antiquité car elle a été souvent mise en relation avec le druidisme. Jean-Louis Brunaux, dans son remarquable ouvrage Les Druides, nous dit à ce propos :

« La question des rapports didactiques entre Pythagore et les druides n’a rien d’une fable plaisante comme on n’en trouve couramment dans toute la littérature antique, une anecdote qui étonne le lecteur et suscite son intérêt. Elle s’inscrit, au contraire, dans une réflexion générale sur l’origine de la philosophie et la dette des Grecs envers leurs voisins barbares. Pythagore lui-même, considéré comme l’un des fondateurs de la philosophie grecque, tout au moins celui qui en a inventé le mot, était censé avoir eu de nombreux maîtres étrangers, le Thrace seulement Zalmoxis, l’assyrien Zaratos, l’hyperboréen Abaris, les druides et les brahmanes…

L’idée de relation directe entre Pythagore et les druides n’est pas tardive. Elle est transmise à travers deux traditions qui remontent toutes les deux au cinquième siècle avant J.-C. Ces dernières sont contradictoires : la première considère que les druides ont été les maîtres de Pythagore alors que la seconde imagine l’inverse. La première que nous avons déjà évoquée, fait de Pythagore l’élève de Zaratos l’assyrien, des gaulois et des brahmanes. Comme Alexandre Polyhistor dit avoir trouvé ces informations dans l’aide-mémoire pythagoricien dont on s’accorde généralement à placer le manuscrit avant le quatrième siècle, il est aisé de reconnaître le caractère ancien de la théorie. Il est à noter que celle-ci se serait donc formée au cours du siècle qui a suivi l’existence du philosophe, soit quelques décennies seulement après sa mort.

C’est précisément à la même période que se forme la tradition concurrente, celle qui veut voir dans Pythagore le maître des druides. Elle nous est également transmise tardivement par Hippolyte, dit également Saint-Hippolyte de Rome, théologien chrétien du deuxième siècle. Voici ce qu’il écrit dans un passage un peu confus :

« Les druides chez les Celtes se sont appliqués avec un zèle particulier à la philosophie de Pythagore, le responsable de leur aspiration à cette philosophie étant Zalmoxis, d’origine Thrace, et esclave de Pythagore. Après la mort de Pythagore, s’étant rendu là, il fut pour les druides à l’origine de leur pratique de la philosophie. Et les Celtes virent ces derniers interprètes des dieux et des prophètes parce qu’ils leur font des prédictions suivant la technique de Pythagore par la divination des cailloux et par celles des nombres. Nous ne passerons pas sous silence les moyens de cet art, depuis qu’ils ont entrepris d’introduire chez eux des écoles de philosophie. Par ailleurs, les druides utilisent aussi des pratiques magiques. »

Pythagore apparaît comme un maître des druides, mais son enseignement est dispensé indirectement, par l’intermédiaire d’un Thrace, Zalmoxis. L’hypothèse présente le plus grand intérêt, car dès le sixième siècle avant J.-C. les Grecs fréquentaient assidûment les Thraces et l’on sait que ces derniers et les Celtes se sont côtoyés sur les bords du Danube. Ce qui nous permet de considérer cette légende comme ancienne est sa mention par Hérodote lui-même, qui la rappelle à propos de son évocation de la Thrace et plus précisément de la croyance en l’immortalité que professaient ses habitants, les Gètes. « 

Ainsi, il apparaît un lien historique entre le courant pythagoricien et le druidisme, sans connaître véritablement le sens de la transmission.

Jamblique, le philosophe néo-platonicien du III ème siècle après JC, identifie les deux types de préceptes de l’enseignement pythagoricien :  les  » signes de reconnaissance «  et les  » choses entendues « .

Jean Philopon dans son commentaire du De Anima d’Aristote, nous donne quelques exemples de lectures allégoriques requises pour déchiffrer l’enseignement oral des Pythagoriciens :

 » Ne t’assieds pas sur une mesure «  signifie :  » Ne cache, ni ne fais disparaître sciemment la justice. »

 » Ne saute pas par-dessus un joug «  signifie :  » Ne transgresse pas l’égalité. »

 » Entre dans le temple sans te retourner «  signifie :  » Ceux qui s’élèvent vers le monde d’en-haut ne doivent pas se pencher vers le monde d’ici-bas. »

On comprend mieux la dimension symbolique et la nécessité d’une interprétation cosmique du langage des initiés.

La dimension énigmatique de l’enseignement oral des pythagoriciens est inséparable de la pratique du secret. En effet, pour eux la séparation entre l’ignorant et l’initié était essentielle ; seuls sont en mesure de comprendre l’initiation, ceux qui ont fait l’effort nécessaire pour être initié et partager les mêmes secrets. Ainsi, se dessine à nos yeux une pratique du langage codé, sous forme de métaphores et d’allégories. Cela semble être l’origine d’une manière d’enseigner  et de  pratiquer le sacré au sein d’un corps élitiste, qui se serait prolonger au travers les siècles pour à la période chrétienne, s’appauvrir de son caractère religieux et se vider de son sens. En effet, les témoignages du langage des gaulois par les auteurs latins et grecs, les textes irlandais archaïques retrouvés (comme Le Dialogue des Deux Sages), l’existence de confréries poétiques comme les scaldes vikings, sont autant de pièces du puzzle qui nous ramène systématiquement à un archétype européen du langage ésotérique de la connaissance.

Publié dans:Etudes, L'Antiquité |on 6 août, 2015 |2 Commentaires »

De la contorsion

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Diogène, le philosophe grec, parle des druides dans un texte, dont voici un extrait :

« Ceux qui prétendent que la philosophie a commencé chez les barbares explique également la forme qu’elle a prise chez chacun de ses peuples. Il rapporte que les Gymnosophistes et les Druides font de la philosophie, en déclarant dans des sentences au caractère volontairement obscur qu’il faut honorer les dieux, ne rien faire de mal et s’entraîner au courage… »

Ce texte est riche d’enseignement malgré sa forme laconique. On apprend que les gymnosophistes, qui sont probablement les ancêtres des brahmanes de l’Inde, sont par leur pratique, associés à la classe sacerdotale celtique, les Druides. Ainsi pour l’auteur il apparaît naturel de les associer et les citer dans le même champ sémantique, malgré la distance qui sépare les peuples dont ils sont issus.

Les sources mythologiques irlandaises font état du héros celtique Cú Chulainn. Ce fier-à-bras est élevé par son oncle Cathbad, qui officie en tant que druide. L’histoire de Cú Chulainn est un véritable parcours initiatique où le héros acquiert le Savoir par une sorcière et devient ainsi (on le suppose) druide à son tour ; il est effectivement rapporté qu’il incarne le Savoir et que sa tête irradie la connaissance. L’histoire révèle plusieurs de ses noms initiatiques dont un qui retiendra particulièrement notre attention : « Riastharta », le contorsionné. Etrange similitude avec le parallèle que fait Diogène dans son texte, en évoquant les gymnosophistes.

Si dans les récits épiques du Haut Moyen-Age, la contorsion de Cú Chulainn est dépeinte comme une fureur déformante le rendant invincible au combat et monstrueux, une sorte de transe guerrière, il paraît tout à fait probable que l’origine de son surnom provienne d’une ascèse et que le sens du qualificatif se soit arrangé de rajouts narratifs ultérieurs par les clercs irlandais en éloignant l’idée première de la contorsion et de l’extase religieuse, pour la vulgariser dans une vision guerrière atroce. Le récit haut en couleurs du champion en pleine transformation devient alors une métaphore du guerrier méditant en s’adonnant à des postures corporelles. Les découvertes archéologiques du monde celtique et germanique présentant des personnages dans des formes inhabituelles, comme ceux de la corne de Gallehus et du chaudron de Gundestrup corroborent l’idée d’une pratique ancienne de gymnastique en lien avec une spiritualité.

 

Dagda, un nom de dieu qui sonne fort

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Dagda est la contraction de  Dago Devos, c’est à dire le  » dieu bon «  dans la mythologie celtique. Il patronne les éléments du ciel, la fertilité, l’abondance mais aussi les traités de paix et le combat à la guerre. Par les récits irlandais, nous apprenons qu’il gouverne la fonction sacerdotale, en tant que patron des druides. Ainsi l’exercice religieux et la guerre font partie des capacités du Dagda. Nous connaissons son goût pour le combat grâce à ses propos dans le récit de la bataille de Mag Tured :

 » Et toi Ô Dagda, dit Lug, de quel pouvoir disposeras tu dans la bataille contre les Fomoiré ?

Ce n’est pas difficile, dit le Dagda, je serai le flanc de l’armée des hommes d’Irlande, soit par massacre, soit par destruction, ou par magie. Aussi nombreux que les grêlons sous les pieds des chevaux seront leurs os sous ma massue, à l’endroit où vous les rencontrerez, sur le champ de bataille de Mag Tured. »

Nous pouvons interpréter sa fonction religieuse par les qualificatifs qu’il porte : « Ruad Rofhessa » qui signifie « rouge de la science parfaite ». Nous trouvons dans le même registre l’épithète « Eochaid Ollathir » pour dire « celui qui se bat avec l’if » ou « père puissant ». Rappelons que l’if est le bois magique dans le fond mythologique indo-européen et se trouve avoir la même vertu chez les Norrois. Il est utilisé pour les incantations divinatoires écrites, mais également pour les armes de guerre tels les hampes de lance et les boucliers. Sa double fonction coïncide avec le rôle du Dagda. La couleur rouge appartient au registre guerrier. Cette dualité ou double attribution se retrouve également chez le dieu Odin des vikings : magie, science et guerre.

La massue du « dieu bon » frappe dans un fracas et résonne de cette onomatopée : dag -daaaa !!!

Force est de constater que dans le nom même du dieu, dans sa signification littérale et figurée, dans son histoire, absolument tout concourt à le définir en tant que druide – soldat redoutable. C’est là une curiosité qui suppose que pour les sociétés celtiques de l’antiquité tout avait un sens.

Publié dans:Etudes, L'Antiquité |on 15 avril, 2015 |Pas de commentaires »

D’où viennent ces expressions gauloises ?

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 Les Gaulois ont peur d’une seule chose : que le ciel leur tombe sur la tête ! 

Voilà une expression répandue qui interpelle sur son sens et son origine. Qu’en est-il réellement des moeurs des celtes continentaux de l’antiquité ? Une peur si curieuse pour de farouches guerriers en serait presque absurde.

L’origine de la croyance en question remonte à un événement historique qui a été rapporté par l’un de ses protagonistes Ptolémée, l’un des généraux qui accompagnaient Alexandre le Grand lors de son expédition chez les Celtes. Les faits datent de 335 av. J.-C., aussi la mention qui y est faite des Celtes est-elle l’une des plus anciennes qui ne soient parvenues à leur sujet. Ptolémée en fit le récit dans son histoire d’Alexandre le Grand, reconnu par les jeunes extraits recopiés par Arrien et Strabon. C’est le cas du passage qui nous intéresse dont Strabon donne la version suivante :

 « Ptolémée fils de Lagos, raconte que pendant cette campagne, des Celtes établis dans la région d’Adria vinrent à la rencontre d’Alexandre pour obtenir de lui les bienfaits de relations d’amitié et d’hospitalité. Le roi les reçus chaleureusement, au cours du repas, il leur demanda ce qu’il craignait le plus persuadé qu’il dirait que c’était lui. Mais ils répondirent qu’il ne craignait personne qu’il redoutait seulement que le ciel ne tombe sur eux, mais qu’il plaçait l’amitié d’un homme tel que lui au-dessus de tout. »

La version d’Arrien dans l’ Anabase est un peu plus détaillé et certainement plus proche de l’original :

 « Les Celtes sont de grande taille et ils ont une haute opinion d’eux-mêmes. Tous venaient, à ce qu’ils dirent, avec le désir d’obtenir l’amitié d’Alexandre. À tous, Alexandre accorda sa confiance, et reçu d’eux la leur. Puis il demanda aux Celtes ce qu’ils redoutaient le plus, espérant bien que son grand nom avait pénétré dans le pays des Celtes, et plus loin encore, et qu’ils allaient lui dire que c’était lui qu’il redoutait le plus au monde. Mais la réponse des Celtes fut toute autre qu’il ne l’espérait. Établis loin d’Alexandre habitants des régions difficiles d’accès et voyant Alexandre s’élancer dans des contrées opposées, ils lui dire qu’ils redoutaient rien que de voir le ciel tomber sur eux. Ce dernier les déclara ses amis, en fit ses alliés puis les congédia, en ajoutant seulement que les Celtes étaient des vantards. »

Pour découvrir qui sont ces Celtes et pourquoi ils tiennent ces propos à Alexandre, il est nécessaire de replacer l’événement dans son contexte. Ces Celtes, précise Strabon, habitaient les environs d’Adria, petite ville d’Italie, située à l’embouchure du Pô, au bord de la mer Adriatique, à laquelle elle a donné son nom. Dans cette ancienne cité étrusque, au quatrième siècle avant J.-C., le tyran de Syracuse, Denys l’ancien, avait fondé une colonie (en réalité une garnison militaire) lui permettant de contrôler la voie commerciale en direction des Alpes de La Gaule. Très tôt, la ville était devenue la base du recrutement des mercenaires Celtes dont Denys faisait grande consommation. Elle attira ainsi de nombreux Gaulois de la Cisalpine proche mais peut-être aussi de la Gaule transalpine. Les hommes qui vont à la rencontre d’Alexandre sont certainement de ceux qui, après la chute de Denys Lejeune, se retrouvent sans employeur. Ils vont sans doute proposer leurs services à Alexandre qui s’apprête alors à engager sa conquête de l’Inde et de l’Asie centrale. Les termes mêmes employés par Ptolémée ne laissent guère de doute à ce sujet : ils sont de haute taille, imbus d’eux-mêmes, c’est-à-dire de leur force physique et guerrière. La conclusion de l’entretien avec Alexandre indique même qu’ils ont obtenu ce qu’ils venaient chercher. Alexandre en fait des amis et alliés militaires ou des auxiliaires. Ces chefs de guerre gaulois ne sont certainement pas venus seuls. Ils ont été accompagnés par des individus capables de les guider à travers les Alpes juliennes, le long du Danube jusqu’à la plaine de Valachie. Ces derniers devaient servir également d’interprètes, au moins des us et coutumes grecs et peut-être de la langue. Si l’on ne peut affirmer qu’il s’agissait de druides, on peut être sûr au moins que c’était des aristocrates ayant reçu de ces derniers une solide formation. On le voit dans la réponse circonstanciée qu’ils font à Alexandre, réponse qui prouve qu’ils possèdent à la fois de solides connaissances de géographie et, comme on le verra, des idées précises sur l’univers, sa composition et sa destinée.

L’histoire a retenu de l’entrevue la répartie un peu lapidaire des Gaulois évoquant la chute du ciel. Pour en comprendre la signification exacte, il est préférable de se fier aux textes d’Arrien qui ne résument pas seulement l’original de Ptolémée mais le recopie peut-être in extenso. La réponse gauloise est plus étoffée, plus diplomatique et, en quelque sorte, à double sens. Ayant bien compris que la question d’Alexandre faisait allusion à sa force militaire, ils lui répondent très astucieusement qu’ils n’ont pas à le redouter puisque lui s’apprête à lancer son offensive dans la direction opposée. Ainsi n’ont-ils pas à le vexer frontalement, en lui répondant, comme ils le font généralement, qu’ils ne craignent aucun ennemi. Ils prennent soin néanmoins d’indiquer qu’ils habitent une région difficile d’accès, faisant certainement allusion à la Gaule intérieure protégée par les Alpes Pennines. Puis vient le temps de la deuxième réponse : ils craignent cependant que le ciel ne s’effondre sur eux. Si la première réponse est sans aucun doute celle de guerriers, ces vantards invétérés dont la réputation était déjà solidement établie dès le quatrième siècle avant J.-C., la seconde est celle de leurs guides, aristocrates, hommes politiques, voire druides qui donnent une autre dimension à la forfanterie des hommes de guerre. Ils la replacent dans un système de croyance métaphysique complexe dont la chute du ciel n’est qu’un élément, la représentation de la fin du monde. 

La peur d’un effondrement du ciel n’a rien d’une terreur primitive irraisonnée, qu’on retrouverait à la fois chez les jeunes enfants et chez les peuples non civilisés : elle appartient au contraire à un système philosophique construit sur une longue période et après de multiples ajustements pour expliquer la formation de l’univers, son évolution et la place que l’homme tient. C’est à l’exposé de ce système que l’anecdote rapportée par Ptolémée nous convie. Ptolémée lui-même, plus soucieux de la vérité historique que curieux des mœurs barbares, n’a retenu que les paroles gauloises qui semblaient donner raison au jugement porté par Alexandre sur ses interlocuteurs : les gaulois sont des hâbleurs impénitents. Il est probable si l’on en croit l’intérêt qu’il manifestera quelques années plus tard pour les brahmanes de l’Inde, que le grand conquérant avait au contraire, un esprit beaucoup plus ouvert. Il dut, au cours du long repas qu’il partage avec les Gaulois, s’entretenir de leurs croyances et de l’idée qu’il se faisait de la mort. Mais de ce colloque entre Alexandre et les sages gaulois, il n’en est rien resté. Pour restituer l’ensemble des croyances auxquelles la chute du ciel se rapportait directement, il faut faire appel à d’autres auteurs et principalement à Poséidonios d’Apamée au début du Ier siècle avant notre ère. Plus de deux siècles séparent donc les deux moments. Cette durée, même dans le cadre des doctrines que les druides contrôlaient rigoureusement, peut avoir quelque incidence sur le contenu. Mais il faut garder à l’esprit que la reconstitution d’une pensée tient toujours d’un idéal théorique qui a pu ne jamais s’incarner totalement dans une époque particulière.

Ainsi à travers une expression devenue banale et reprise par le fameux gaulois d’Uderzo, il apparaît un second sens ayant des redondances dans la cosmogonie celtique. L’image du ciel s’abattant sur les guerriers fait écho au Ragnarök germanique, où les puissances célestes et infernales s’affrontent dans un ultime combat.

 

 

Publié dans:Etudes, L'Antiquité |on 11 mars, 2015 |1 Commentaire »

La corne et sa double attribution

 

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Gjallahorn est littéralement le « cor qui sonne fort ». C’est l’attribut du dieu Heimdall dans la mythologie norroise. Il s’en sert pour sonner l’alerte de la fin du monde auprès des dieux.

D’autres sources décrivent Gjallahorn comme un récipient à hydromel autrement dit une corne à boire. D’ailleurs Heimdall est surnommé le « buveur de bon hydromel ». Ainsi la double attribution de la corne remonte à un lointain passé. L’archéologie a exhumé un grand nombre de cornes à boire depuis l’âge du fer et l’on sait parallèlement que les cors sont les plus anciens instruments de musique des germains. Certains passages de César et de Pline confirment l’usage très répandu des cornes à boire chez  les germains et les celtes.

La corne pourrait revêtir une fonction sacrée ; ainsi les cornes d’or de Gallehus retrouvées au Danemark revêtent incontestablement un caractère religieux. Cette fonction se reflète dans la mythologie islandaise à travers des cornes à boire qui parlent (saga de Thorsteinn). Le récipient devient instrument de musique. L’hydromel devient le son qui est émis par la corne. Ainsi il apparaît une ouverture sur la désignation de Gjallahorn : le cor qui sonne fort pourrait signifier le cor qui enivre l’esprit. Musique et boisson se trouvant mêlées dans un rituel sacré qui nous échappe mais qui laisse entrevoir ce que J. P. Mallory (A la recherche des Indo-Européens) découvrit sur les peuplades indo-européennes : la musique, le chant et la boisson étaient inextricablement liés dans les rituels religieux.

 

La parole qui enchaîne les hommes

Les sources littéraires attestent un passage légendaire d’Héraklès dans la Gaule du sud : d’après Pomponius Méla le héros aurait triomphé dans le delta du Rhône des deux fils de Neptune Albion et Dercynos et cette renommée n’était pas oubliée sous l’empire car on en trouve l’écho chez le mythologue Lucien de Samosate qui au IIème siècle de notre ère fait parler ainsi un grec devant une peinture gauloise, qu’il avait peut-être vue à Marseille (puisqu’il se rappelle le passage du héros dans la région) : 

« C’est Héraclès que les Celtes appellent Ogmios dans la langue du pays mais l’image qu’ils peignent du dieu est tout à fait étrange. Pour eux, c’est un vieillard sur la fin de sa vie, chauve sur le devant de la tête, tout blanc de cheveux pour ce qu’il en reste, de peau rugueuse et brulée par le soleil au point d’en être noircie comme celle des vieux marins : on le prendrait pour Charon* ou Japet du Tartare souterrain**, pour tout enfin plutôt qu’Héraklès. Tel qu’il est cependant, il a l’équipement d’Héraklès car il porte la dépouille du lion, tient de la main droite la massue, a le carquois à l’épaule et de la main gauche présente un arc tendu ; et c’est tout Héraklès, que cela. Je pensais que c’était par haine des divinités helléniques que les Celtes avaient ainsi fait injure à la forme d’Héraklès et qu’ils voulaient se venger, par cette représentation figurée, de son invasion dans leur pays et de ses rapines quand, en quête des troupeaux de Géryon, il traversait en vainqueur la plupart des peuplades occidentales. Pourtant je n’ai pas dit ce qu’il y a de plus d’extraordinaire dans ce portrait : cet Héraklès vieillard attire une foule considérable d’hommes, tous attachés par des oreilles à l’aide de chaînettes d’or et d’ambre, pareilles aux plus beaux colliers et, quoiqu’ils soient ainsi faiblement attachés, ils ne veulent point s’enfuir bien qu’ils le puissent aisément, suivent leur conducteur, tous gais et joyeux, le comblent d’éloges…Ce qui me parut plus insolite que tout…, c’est que le peintre ne sachant où suspendre le commencement des chaînettes, puisque la main droite tenait déjà la massue et la gauche l’arc, a perforé le bout de la langue du dieu et a fait tirer par elle les hommes qui le suivent et vers lesquels il se retourne en souriant.

Un homme du pays, le voyant dérouté, lui dit :  » L’art de la parole, nous ne l’identifions pas, nous autres Celtes, comme vous, Grecs à Hermès, mais à Héraklès parce qu’il est beaucoup plus fort qu’Hermès ; si d’autre part on en a fait un vieillard, ne t’en étonne point :  c’est que l’éloquence est seule à atteindre le point culminant de son développement dans la vieillesse, si du moins, vos poètes disent vrai…Nous pensons qu’Héraklès lui-même devenu sage a, par son éloquence, accompli tous ses exploits et par la persuasion forcé la plupart des obstacles. Ses flèches sont à mon avis, les discours acérés, percutants, rapides qui blessent les âmes : d’ailleurs, vous dites vous-mêmes que les paroles ont des ailes. »

 Les flèches sont des métaphores pour les arguments ou les reproches qui traversent l’auditeur en le blessant. Comme les kenningar il s’agit d’une belle image pour ne pas nommer directement les choses.

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Le panthéon celtique revêt de nombreuses formes divines ; les fragments qui nous sont parvenus témoignent de la diversité des cultes et particulièrement en Gaule. Les travaux de Dumézil, Mallory, Duval ont déjà démontré l’existence d’archétypes divins. Comme le sera Wodan ou Odin pour les peuples germaniques, Ogmios est l’archétype du dieu lieur. Celui qui, par ses dons, ses charmes, sa magie va enchaîner les hommes à sa cause. Nous voyons à quel point cet aspect prime sur d’autres attributs dans les sociétés préchrétiennes par rapport à l’usage de la force. « Nous pensons qu’Héraklès … a, par son éloquence, accompli tous ses exploits et par la persuasion forcé la plupart des obstacles… » se remémore un gaulois de la période gallo-romaine. Cet aspect est à mettre en parallèle avec les charmes du Havamal (Les Dits du Très Haut), où le dieu Odin énumère plusieurs charmes dont il a le pouvoir :

« … J’en sais un quatrième :

Si les guerriers me mettent

Liens à jambes et bras,

J’incante de telle sorte

Que je vais où je veux,

Fers me tombent des pieds

Et lien des bras.

J’en sais un huitième

Qui à tous est

Profitable à prendre :

Où que s’enfle la haine

Parmi les fils du chef,

Je peux l’apaiser promptement… »

Il apparaît plus clairement ainsi l’importance de l’usage de l’éloquence et de la parole pour les païens d’Europe. Le mot est le lien qui va enchaîner l’homme à l’orateur.

 

Charon, dans la mythologie grecque avait pour rôle de faire traverser  les morts à travers le fleuve Styx sur sa barque contre un péage.

** Japet est un titan qui sera emprisonné dans le monde souterrain (le Tartare) par Zeus.

 

Publié dans:Etudes, L'Antiquité |on 6 décembre, 2014 |Pas de commentaires »

La mutilation qualifiante

Le thème de la mutilation qualifiante est commun à toute l’arborescence mythologique indo-europénne. Elle apparaît comme un sacrifice d’un personnage divin. Cette expérience est relatée dans plusieurs versions mythologiques. Ce sacrifice permet au dieu de s’approprier des pouvoirs ou de garantir un droit.

Si nous prenons le cas celtique, le dieu irlandais Nuada (ou le gaulois Nodons) perd son bras droit dans une bataille. Cette infirmité est incompatible avec la fonction souveraine ; le dieu médecin Dian Cecht lui greffe alors un bras en argent, lui permettant ainsi de redevenir roi. Ce mythe est errodé et difficile à comprendre de prime abord. Les parallèles de Georges Dumézil entre les mythes des sociétés européennes préchrétiennes démontrent un fond commun qui permet de comprendre davantage le sens de cette mutilation.

Chez les Norrois, le dieu Tyr subit la même amputation. Afin de gagner la confiance du loup Fenrir qui menace le monde des dieux, Tyr sacrifie son bras droit dans la gueule de l’animal. Cet acte de bravoure permet aux autres dieux d’enchaîner le loup et d’éviter leurs fins. Tyr devient le dieu manchot mais surtout le dieu juriste. En effet, dès lors il incarne le serment juridique dans les sociétés païennes. Il a effectivement engagé son bras droit dans une procédure juridique, un gage, un  pacte avec le loup, tout en étant conscient du piège qu’il tendait à l’animal, seul moyen de garantir la survie de la société divine.

On retrouve aujourd’hui des traces de cet épisode dans le fonctionnement de nos institutions du droit. La main droite sert toujours à prêter serment et engage celui qui la lève dans une procédure.

Ainsi on appréhende les kenningar de la dextre sous une forme plus floue car apparaissant comme un lointain souvenir ; mais dont la vivacité au XXI ème siècle est toujours bien ancrée.

 

Publié dans:Etudes, L'Antiquité, Le Haut Moyen-Age, Le Moyen-Age |on 21 novembre, 2014 |2 Commentaires »

Les expressions du faciès dans la caste guerrière – témoignages

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Cùchulainn est le « Hercule » irlandais. Il est le héros de l’antiquité celtique insulaire et ses hauts-faits nous sont parvenus par d’innombrables récits. Le personnage est connu pour ses transformations. Dans un épisode des Macgnimrada il est pris de contorsions :

« Il ferma un de ses yeux, au point qu’il n’était pas plus large qu’un chas d’aiguille et il écarquilla l’autre, au point qu’il était aussi grand que l’ouverture d’une coupe d’hydromel. »

Dans In carpat serda, on peut également lire un extrait remplis d’images expressives :

 » Il avala un des ses yeux dans sa tête, au point qu’à peine un héron sauvage aurait réussi à l’amener du fond de son crâne à la surface de sa joue, l’autre saillit et alla se placer sur sa joue, à l’extérieur. »

Ces grimaces singulières que connaît le héros répondent à différents codes. Lesquels ? En adoptant une approche globale des expressions guerrières de l’antiquité jusqu’au moyen-âge, nous pouvons approcher de la réponse.

Au Xème siècle, le viking Egill Skallagrimsson est reçu par le roi Adalsteinn après avoir guerroyé pour lui. Il s’installe au banquet, au siège d’honneur et attend une forte rétribution. Il garde son casque sur sa tête, pose son bouclier à ses pieds et son épée sur ses genoux, la tirant à moitié et la renfonçant alternativement dans le fourreau. Il se tient raide et droit, et refuse toute boisson. En outre, il fait descendre un des ses sourcils jusqu’à son menton tandis que l’autre monte jusqu’à la racine de ses cheveux, et cela aussi alternativement. Alors le roi se lève et lui offre un anneau précieux en compensation. C’est alors que ses sourcils regagnent leur place ordinaire et que le viking dépose casque et épée, et accepte enfin la coupe qu’on lui avait jusqu’alors vainement offerte.

Cette mimique est proche de celle de Cùchulainn. Sans doute s’agit-il d’une ancienne tradition : dans des circonstances graves, les hommes de guerre adoptaient des attitudes et grimaces qui établissaient leur rang, leur dignité et appuyaient leurs exigences.

Les textes qui témoignent de cette pratique sont épiques et très imagés ; ils versent souvent dans le fantastique. Mais leur corrélation au fil des âges révèle sans doute une pratique historique dans les castes guerrières depuis l’antiquité européenne jusqu’au moyen-âge. Les images poétiques dont nous disposons attestent d’un fond commun qui a été supplanté par les codes de la chevalerie liés aux valeurs chrétiennes du XIIème siècle.

La satire dans l’antiquité

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Dans les sociétés celtiques de l’antiquité, la parole des bardes était redoutable. Quand elle s’exprimait pour une satire, les mots touchaient les auditeurs de manière indélébile. Ainsi les blâmes ou les louanges qu’ils chantaient étaient de plusieurs nature.

La première était prédilection. Le poète annonçait les bienfaits du règne d’un roi qu’il servait. C’est le registre de la louange.

La seconde était sentence. Dans la plupart des cas, il s’agit d’une condamnation à mort pour celui qui transgresse la règle. La parole du druide toute puissante suffisait à l’accomplissement de ce qu’il énonce. Le druide était détenteur du droit.

La troisième est d’ordre ésotérique. Elle devient incantatoire ou magique quand le clan la sollicite, ou par obligation sacerdotale. Le « Glam Dicinn » en Irlande est une forme très achevée de satire. Elle signifie la malédiction extrême et/ou le cri ! Cela nous informe déjà sur la manière de déclamer la satire magique. Les rois, princes, hommes libres, chevaliers, officiant du sacerdoce et poètes la craignaient. Nous ignorons si le Glam Dicinn nécessitait une technique vocale ou gestuelle particulière.

Les mots et leur déclamation avaient une importance majeure dans l’Europe celtique. Leur usage est perdu. Toutefois, nous pouvons élaborer des pistes de recherche et constater combien les sociétés détentrices de cette connaissance étaient soumises aux codes et aux signes communs au clan et à sa structure hiérarchique. Les kenningar du moyen-âge auront les mêmes attributions.

 

 

Publié dans:Etudes, L'Antiquité |on 11 octobre, 2014 |Pas de commentaires »

De l’éloquence

L’éloquence est une qualité que plusieurs auteurs antiques attribuent aux Celtes. Qu’ils soient grecs ou latins les chroniqueurs contemporains des peuplades celtiques ne comprennent pas toujours leurs mœurs. Ils nous rapportent alors leur vision souvent étriquée car mal renseignée ; leurs témoignages sont souvent réducteurs car ils s’inscrivent dans une logique propagandiste de déconsidération des peuples soumis, comme le faisait César dans la Guerre des Gaules.

Diodore de Sicile, historien et chroniqueur du Ier siècle avant J-C nous révèle que « dans la conversation, la parole des Gaulois est brève, énigmatique, procédant par allusions et sous-entendus, souvent hyperbolique, quand il s’agit de se grandir eux-mêmes et d’amoindrir les autres. Ils ont le ton menaçant, hautain, tragique, et pourtant l’esprit pénétrant et non sans aptitude pour les sciences ».

Considérer ce témoignage comme preuve irréfutable de l’existence des kenningar dans l’antiquité serait une grossière erreur. Notre devoir de chercheur est de prendre ce témoignage de la manière la plus objective qu’il soit. Nous apprenons que les Gaulois utilisaient des images pour s’exprimer. Nous ne savons rien du type d’expressions auxquelles ils avaient recours, si elles s’inscrivaient dans le cadre d’un récit épique, mythologique ou dans la louange d’un prince ou d’un héros. Nous apprenons que les figures de styles pouvaient être utilisées dans leurs conversations. S’agissaient-ils de vraies conversations ou de déclamations ? Là aussi l’approximation de Diodore de Sicile brouille les pistes. Ce que nous pouvons retenir est que les celtes continentaux, que ce sont les Gaulois du Ier siècle avant J-C, étaient éloquents et savants. L’auteur reconnaît leurs qualités pour les sciences ; il est difficile de savoir de quoi il veut parler exactement. Ces aptitudes ont-elles des liens avec leur art oratoire ? Pourquoi intègre -il cette précision au moment où il nous retranscrit la parole des Gaulois ?

La découverte du Dialogue des deux sages dans l’histoires des peuples celtes confirmera ce témoignage antérieur. Nous savons donc depuis l’antiquité que les celtes maîtrisaient les figures de style et avaient pour certains (comme les druides du Dialogue des deux sages) des connaissances inestimables en science. La science de l’antiquité est différente de la nôtre ; il faut donc comprendre par science toutes les choses qui échappaient aux classes productrices : la mythologie, la divination, la compréhension de l’univers. Cela fait écho à la classe religieuse et donc aux druides.  Nous en concluons que Diodore a été témoin d’une scène ou un officiant sacerdotal s’est exprimé et que le sens du propos lui a peut-être échappé mais qu’il a reconnu un haut degré de connaissance dans son expression.

 

Publié dans:Etudes, L'Antiquité |on 8 juin, 2014 |1 Commentaire »
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