Archive pour la catégorie 'L’Antiquité'

L’image de la grue

La grue est un oiseau aquatique dont la signification et le symbolisme dans la mythologie européenne sont tellement riches, qu’elle peut perdre le lecteur dans les méandres d’un labyrinthe.

Étymologiquement parlant, grue vient de « Gerana » en grec ancien. Gerana fut une figure importante d’un mythe oublié : elle incarnait une déesse pour les Pygmées (peuplade mythologique de taille équivalente à « une hauteur d’une coudée »). Elle fut changée en grue par la déesse Héra, jalouse de la dévotion dont elle jouissait. Mais les Pygmées, qui étaient alors en guerre contre les grues, la repoussèrent, la prenant pour un ennemi…

La « Gerana » ou la « Geranos » est aussi une danse sacrée grecque. Elle tient son origine dans le mythe de Thésée sortant du labyrinthe de Crète, construit par Dédale. Elle aurait eu pour fonction de mimer le passage dans les couloirs du labyrinthe pour en indiquer la solution. Plutarque raconte à ce sujet : « Thésée, à son retour de Crète, aborda à Délos ; après avoir sacrifié au dieu et consacré la statue d’Aphrodite qu’Ariane lui avait donnée ; il exécuta avec les jeunes gens un chœur de danse qu’on dit être encore en usage aujourd’hui chez les Déliens et dont les figures imitaient les tours et les détours du labyrinthe, sur un rythme scandé de mouvements alternatifs et circulaires. Les Déliens donnent à ce genre de danse le nom de « grue », à ce que rapporte Dicéarque. Thésée la dansa autour du Kératon, autel formé de cornes qui sont toutes des cornes gauches. »

Il existe plusieurs représentations de cette danse sacrée. L’archéologie en a exhumée une très explicite sur l’île de Paros. Un bijou en stéatite présente sur ces deux faces des images de « Geranos ». On y voit sur le recto des danseurs entourés de poissons et accompagnés d’une grue ; et sur le verso, le dessin d’un labyrinthe avec des motifs serpentant.

Les origines cycladiques de la geranos : sur un pendentif en pi Les origines cycladiques de la geranos : sur un pendentif en pi

La grue serait donc la représentation de la solution des méandres du labyrinthe. On peut imaginer qu’il puisse s’agir d’un rite dit de « passage », c’est à dire l’accomplissement d’un rituel symbolisant le changement d’état social d’un individu, à travers une épreuve. Elle incarne une transformation, puisqu’elle est, elle-même, changée en volatile par la colère de Héra. La grue est donc l’image de la transmutation, du changement d’état. D’ailleurs, on comprend bien cette portée symbolique d’un point de vue biologique. Cet oiseau a sa place dans le ciel (le monde d’en haut) mais se nourrit dans les eaux peu profondes (le monde d’en bas). Elle semble donc faire le lien entre deux mondes. Sans doute, s’agit-il là d’une expression d’un rituel lié aux changements d’état de l’homme au cours de sa vie, peut-être même au-delà de celle-ci, dans la mesure où la grue deviendrait alors l’animal psychopompe de l’antiquité.

Publié dans:Etudes, L'Antiquité |on 23 octobre, 2022 |1 Commentaire »

L’expression celtique

La tradition orale que l’on connaît chez les Celtes de l’antiquité n’aura laissé de traces historiques que dans les témoignages de leurs contemporains ou tardivement chez les Irlandais christianisés. Les bribes de textes dont on dispose apparaissent tellement hétérogènes, par la diversité de leurs contenus, que plusieurs chercheurs ont émis l’hypothèse qu’ils représentaient des canevas sur lesquels les bardes brodaient à l’envi.

Christian-J. Guyonvarc’h, professeur de celtique à l’université de Rennes, explique à ce sujet :

 » Les phrases sont simples, généralement courtes ; les liaisons sont fréquentes, mais sans variété, avec une grande quantité de pléonasmes et de redondances, de répétitions et d’ellipses, de sous-entendus. La base de l’expression est la métaphore ou, parfois la figure étymologique, très vieux procédés indo-européens. Le style courant accumule les épithètes et les qualificatifs sans liaison verbale, les formules triples, les synonymies, ce qui est à la fois pittoresque, brutal et puéril. Tout cela convient très bien à la phrase celtique, au rythme rapide mais au souffle court : la multiplicité et la souplesse des formes verbales autorisent une extraordinaire richesse d’expression dans la proposition principale. »

Ainsi, on peut se faire une idée de l’expression celtique dans l’époque pré-chrétienne. Il est intéressant de faire le parallèle avec la formulation des scaldes (poètes vikings) nordiques. Leur locution qui a été transmise par Snorri Sturlusson, dans les Sagas islandaises, procède des mêmes outils et d’une semblable formulation.

Publié dans:Etudes, L'Antiquité, Le Haut Moyen-Age |on 1 septembre, 2022 |Pas de commentaires »

Le sens de la boisson chez les païens

Il est frappant de constater des similitudes dans la représentation de personnages portant des boissons chez les Nordiques, Germains et Celtes.

On connaît déjà toute la magie liée à la boisson chez les vikings (voir à ce sujet les articles Les Runes et les kenningar et Le Kenning et la magie 2) ; plusieurs gravures de bijoux illustrent une femme porteuse d’une corne à boire.

Porteuse de corne a boire

Chez les Celtes de l’antiquité, on trouve le même type de représentations sur des pièces de monnaie. Sur l’une d’elles, datant du troisième siècle avant JC, appartenant au clan des Rèmes (tribu gauloise de la région de Champagne-Ardennes), on y voit une femme coiffée, portant ce qui semble être un récipient en forme de corne.MonnaieGauloiseRemesMonnaieGauloiseRemes

MonnaieGauloiseRemes

Nous avions évoqué l’image de la souveraineté celtique dans l’article. Serions-nous en présence d’un archétype de la boisson chez les païens ? Les similitudes et l’expression utilisées à plusieurs siècles d’intervalles laissent penser qu’il s’agit d’une thématique forte et tellement tenace qu’elle a dû se perpétuer dans la transmission du savoir au sein des clans païens, à l’échelle européenne.

Bien sûr, une première lecture du phénomène laissera à penser que nos ancêtres aimaient la boisson au point d’en représenter l’acte jusque sur des objets précieux. Ce serait avoir une vision réductrice du sujet et laisser de côté toute la symbolique et la poésie que l’on connaît grâce aux kenningar, entre autres.

Associons la parole à ces gravures. Que nous disent les Celtes ? « Que ce soit à toi la boisson qui coulera de la corne royale ! Elle sera hydromel, elle sera miel, elle sera forte bière ! » (propos de la reine Mebd s’adressant à Niall, extrait des Annales d’Ulster). On reconnaît le rite de la transmission de la souveraineté dont nous avons parlé plus haut.

Que nous disent les Germains et Nordiques ? « Arbre de l’assemblée des cuirasses, Je t’apporte de la bière, Mêlée de pouvoir et de renommée, Forte d’incantations puissantes, Et de runes de Joie ! «  (chant de Brunehilde pour Siegfried, extrait des Nibelungen). Ici, nous avions évoqué le pouvoir magiques des runes avec une déclamation poétique, dans les articles ultérieurs référencés.

Nous avons d’un côté le contenu même de la boisson, ou en tout cas son image symbolique : la bière, l’hydromel, le miel ; et de l’autre, des notions complexes telles la magie, la royauté, la souveraineté… On peut interpréter que la boisson ainsi représentée symbolise le rite de passation (comme on se passe la corne à boire) entre postulants à l’enseignement ésotérique et/ou prétendants à la charge de souverain. Le liquide qui se transmet de main en main est le liant entre officiants ; il porte la connaissance et la sagesse requises enseignées, qui devront être absorbées symboliquement pour assumer le nouveau pouvoir ainsi acquis.

Publié dans:Etudes, L'Antiquité, Le Moyen-Age |on 5 août, 2022 |Pas de commentaires »

L’oiseau et sa représentation

 

oiseaux

 

 » La sterne de la bataille «  est un kenning pour représenter le corbeau, souvent présent sur les champs de bataille.

 » Le cygne de la sueur de l’épine des blessures «  pourrait aussi se dire  » le cygne du sang « , une autre figure du corbeau. On aura identifié le sang avec le terme  » sueur « , l’épée avec  » l’épine des blessures « .

 

Publié dans:L'Antiquité, Le Haut Moyen-Age |on 12 février, 2022 |Pas de commentaires »

L’ambivalence de l’image de Thor

On connaît la double fonction du dieu Thor dans la mythologie scandinave (cf à ce sujet Le marteau de Thor et sa fonction fertilisante). Il est défini initialement comme un grand combattant défendant les intérêts du peuple contre les forces destructrices que représentent les géants. Cet attribut martial semble avoir évolué vers une fonction plus fertilisante, sans que l’on sache dans quel ordre ce « glissement » ait opéré.

S’agit-il d’une appropriation contemporaine du Moyen-âge, qui confrontée au bouleversement religieux de l’étendue du christianisme aura défini autrement les vieilles divinités ? Ou au contraire, sommes-nous en présence d’un culte beaucoup plus ancien qui donnait initialement le dieu comme représentant de la troisième fonction comme le fut Freyr, dieu de la fécondité ?

Les sagas islandaises regorgent de surnoms de personnages héroïques rattachés au nom du dieu Thor (Thorsteinn, Thorulfr, Thorin, …), laissant à penser qu’il fut très populaire ; son culte semble avoir été très répandu chez les guerriers. C’est pourquoi dans l’image populaire, on le pense comme un grand guerrier. Pour autant, il semble plus honnête de le considérer comme un guerrier, certes, mais rattaché aux forces célestes que sont la foudre, la pluie, le tonnerre. Les valeurs que revendiquent les hommes qui le vénèrent sont le courage, la force brute, l’esprit de justice mais aussi sa simplicité, son manque de duplicité (contrairement à Odin).

Que dire des pétroglyphes retrouvés dans le sud de la Suède représentant un personnage au maillet bénissant l’union d’un couple ? Le fait de déposer un marteau dans le lit d’un couple, toujours en Suède, encore au XXème siècle, n’est-il pas la survivance des images gravées dans la pierre, antérieures de plusieurs millénaires ?

Le dieu au maillet est ainsi défini par Adam de Brême, quand il décrit le temple suédois d’Uppsala, comme le dieu principal, trônant au milieu et explicitement «  maître de l’atmosphère et gouvernant le tonnerre et la foudre, les vents et les pluies, le beau temps et la moisson… ».

Il est donc difficilement opposable que Thor n’ait pas été le dieu du peuple paysan, défendant les intérêts agricoles et représentant de la fécondité par le marteau phallique dont la semence (la pluie) mettra la terre-mère en germination.

Pour Georges Dumézil, l’affaire est clairement entendue dans son œuvre « Mythes et Dieux des Indo-Européens ». En parlant d’Adam de Brême, il dit : « il n’y a pas de raison de récuser l’essentiel de son témoignage : le glissement de la guerre dans le domaine de Wodan (Odin), le glissement inverse de Thor au service du paysan sont des faits. »

Les époques auxquelles on fait référence n’ont guerre de liens logiques entre elles dans la mesure où l’on se rend bien compte qu’aux mêmes moments, des visions différentes du dieu coexistent sans que l’on relève d’objections dans les témoignages de chacune des périodes. Nous devons donc admettre que le culte de Thor fut complexe et ambivalent. Je m’orienterais davantage vers une hypothèse « régionaliste » pour expliquer le phénomène. En effet, les grosses différences de culte rendu au dieu Thor résident surtout dans des localités éloignées les unes des autres plutôt que dans des époques distantes. L’Islande, théâtre de toutes les grandes aventures vikings fut propice à la célébration du courage, de la vaillance et de la force du dieu dans ses combats. Il semble que ces valeurs n’aient retenu l’unique attention des colons norvégiens qui avaient combattu et fuit le roi Haraldr. Le culte du héros incarné par les exploits de Thor rentrait en résonance avec l’épopée que ces guerriers écrivaient dans l’histoire. En parallèle, les scandinaves qui étaient restés à demeure, poursuivaient leurs activités de subsistance sous des latitudes peu clémentes. Il est donc logique que le même dieu fut plus apprécié comme une déité invoquée pour favoriser les bonnes moissons et l’abondance des cultures.

Ainsi, on voit émerger l’image du maillet comme attribut de jet martial et représentant de la force du combat du dieu ; mais aussi symbole phallique de fertilité et de prospérité. Thor, selon les lieux de culte, sera l’avatar de la force guerrière mais aussi de la force fécondante.

 

 

 

Publié dans:Etudes, L'Antiquité, Le Moyen-Age |on 14 novembre, 2021 |Pas de commentaires »

Le culte phallique

Dans le Havamal, le dieu Odin énumère toutes sortes de charmes. Il se vante (entre autres) de conquérir toutes les femmes qu’il convoite. On connaît déjà l’attachement des peuples païens d’Europe à des valeurs comme la virilité. D’un point de vue de l’image même de la virilité, elle est souvent associée à la fertilité, donc plutôt à la troisième fonction dumézilienne.

On connaît les rites dits « phalliques » en Scandinavie depuis l’âge du bronze jusqu’à la fin du moyen-âge. Des représentations de gravures rupestres montrent des personnages au sexe énorme, associés à des représentations de dieu au maillet (Thor ?). Le dieu Freyr, représentant de la fécondité et de la prospérité du monde agricole, est toujours représenté en pleine érection. L’énorme phallus érigé au milieu d’un champ à Rödsten, en Suède, depuis le VIème siècle, en est une autre illustration. Les Sagas islandaises font aussi état d’un culte pour un pénis de cheval, conservé dans des feuilles de poireaux…

Nous avons déjà vu l’interconnexion des deux fonctions définies par Georges Dumézil : la fonction agraire et la fonction guerrière, notamment à travers l’article Thor, le dieu des fermiers ?

En relisant les strophes 161 et 162 du Havamal, il est possible de considérer ces paroles complémentaires à nos investigations :

« Si de la femme sage

Je veux obtenir amour et liesse,

Je tourne la tête

De la femme aux bras blancs

Et bouleverse tout son cœur. »

et de poursuivre :

« J’en sais un dix-septième (charme) :

Qu’elle aura peine à m’éviter

La juvénile vierge. »

« La femme sage », « la femme aux bras blancs », « la juvénile vierge » sont autant d’images de pureté et de virginité. Le dieu suprême du panthéon germano-scandinave aurait la faculté de faire succomber toutes les femmes vierges. Pourquoi particulièrement « vierges » et pas des femmes sans ce qualificatif ? La précision revêt son importance. Cette notion de blancheur pourrait être associée à la Terre Mère, la terre nourricière avant d’être ensemencée. Ainsi, le dieu souverain déclame des charmes pour permettre au terreau fertile de devenir fécond (« amour et liesse », »bouleverse tout son coeur »). Souvenons-nous de la rune Jeran qui représente la récolte et l’abondance ; les textes anciens (chants) qui lui sont associés nous disent :

« Jeran est une bénédiction pour les hommes

Je reconnais que Freyr fut généreux. »

ou encore

« Jeran est profit pour les hommes,

Et un bon été

Et florissante récolte. »

Dans cette interprétation, les charmes d’Odin prennent tout leur sens. On peut imaginer que le culte agraire ait été en toutes circonstances celui de Freyr ; pour autant, le dieu suprême et inventeur des runes, Odin, semble avoir été l’origine des liens entre les hommes et les dieux à travers des incantations. Ici le culte de la fécondité/virilité semble assumé par Odin depuis l’origine. Au cours des époques, il a sans doute existé un glissement sémantique de la première à la troisième fonction dumézilienne. Les chants du Havamal, referment tant de richesse et de poésie à travers ses images que l’on peut se perdre dans moultes conjectures.

Le débat reste ouvert…

Freyr2 Freyr PierrePhalliqueRodsten

Le Heaume de terreur

heaumecasqueOdinique

Dans les Sagas islandaises et les mythes scandinaves, le thème du « heaume de terreur » est récurrent.

Citons par exemple un passage de la Saga des gens du Val-au-Saumon, traduite par Régis Boyer. Pour situer le contexte, Gestr est un grand chef de clan et un prédicateur reconnu ; Gudrun est sa parente (il n’est pas précisé le lien de parenté) et lui demande d’interpréter ses rêves. Elle lui décrit quatre rêves similaires dont le dernier attire particulièrement notre attention :

 » Mon quatrième rêve, c’est qu’il me sembla avoir sur la tête un heaume d’or tout incrusté de pierres précieuses. j’avais l’impression que ce joyau m’appartenait. Ce qui me paraissait surtout ennuyeux, c’est qu’il était passablement lourd, car je pouvais à peine le porter et je penchais la tête. Je n’en accusais pourtant pas le heaume et je n’avais pas l’intention de m’en séparer. Toutefois il glissa de ma tête et tomba dans le Hvammsfjörd… »

Gestr prédit alors que Gudrun se mariera quatre fois et que son dernier mari sera « un très grand chef et (…) un heaume de terreur. »

Ce texte est intéressant car il comporte plusieurs kenningar.

Tout d’abord le « heaume de terreur » utilisé dans ces prédications signifie que le mari protégera Gudrun en épouvantant ses ennemis. Cette idée est habituelle dans le culte odiniste. Le dieu Odin foudroie de peur ses adversaires d’un simple regard. Un de ses surnoms est « Bileygr » qui littéralement signifie «  l’oeil à l’éclat vacillant  » ! À ce sujet, les guerriers ours (berserkrs), qui sont une aristocratie militaire placée sous la tutelle d’Odin, possèdent ce pouvoir dans les duels.

Mais on peut extrapoler l’image du heaume de terreur dans la mythologie grecque. En effet, la similitude avec l’égide est intéressante. Comme elle, le heaume de terreur protège et incarne la souveraineté. Seuls les dieux, les chefs ou les héros peuvent la porter comme une amulette et garantir ainsi son invulnérabilité.

En poursuivant le raisonnement, il devient pertinent de rattacher le heaume avec le masque porté dans ces sociétés païennes. Rappelons le, un des nombreux surnoms d’Odin est Grimr (Grimnir) qui signifie le « masqué« . On connaît son utilisation dans les rites magiques (cf à ce sujet L’image du masque à travers deux divinités). L’archéologie semble nous dévoiler un usage de casque tout particulier avec une protection faciale intégrale. Elle corrobore l’idée d’un culte odinique très prégnant.

Le plus cocasse dans la Saga des gens du Val-au-Saumon est que le nom même du chef, qui a le don de prophétie, se nomme Gestr… je renvoie le lecteur à l’article L’image du voyageur où j’explique qu’il s’agit d’un autre surnom du dieu Odin (voulant dire l’hôte, qui a donné « guest » en anglais).

Cet extrait possède donc une qualité littéraire et mythologique toutes particulières et semble entrelacer les images du dieu Odin sous différents aspects. Le rapporteur de cette saga (Snorri Sturluson ?) a sans doute multiplié volontairement les kenningar comme un jeu savant et permet à ses lecteurs contemporains de refaire vivre des croyances et des mœurs magnifiques.

 

 

 

 

 

 

Publié dans:Etudes, L'Antiquité, Le Moyen-Age |on 14 juillet, 2021 |Pas de commentaires »

L’image de l’irréversibilité du temps dans l’Antiquité

Orphe

 

Dans la mythologie grecque, l’histoire étrange de l’amour d’Orphée et Eurydice est particulièrement lourde de sens.

Orphée est un grand musicien, supérieur à Apollon selon les Grecs. Le dieu des arts et de la médecine lui fait don d’une lyre. Orphée ajoute deux cordes aux sept présentes afin de parfaire son art musical ; il rend ainsi hommage aux neufs muses, les filles de Zeus, inspiratrices des artistes.

Il s’éprend de la plus belle des femmes Eurydice, une nymphe, qui, selon certains textes, aurait été la fille d’Apollon lui-même.

Malheureusement, la belle décède des morsures d’une vipère en fuyant les assauts d’un certain Aristée.

Orphée, inconsolable, entreprend alors un voyage aux enfers afin d’aller chercher son amour.

Grâce à son talent musical et sa lyre, il affronte tous les obstacles qui lui barrent la route en les charmant (au sens du « charme magique » évidemment).

Hadès, le dieu des enfers est lui-même impressionné par les prouesses du jeune héros et avec Perséphone, lui accorde audience.

Ce dernier concède à le laisser partir avec sa bien-aimée à une unique condition : qu’Eurydice suive les pas d’Orphée sans que celui-ci ne se retourne pour la regarder avant d’avoir pu sortir des enfers.

Le pacte est conclu.

Mais Orphée craque et finit par se retourner avant d’avoir pu s’échapper du monde souterrain d’Hadès. La sanction tombe et Eurydice est définitivement condamnée à rester dans le royaume des morts…

Les mythes ne sont pas très explicites sur les raisons qui ont fait se retourner Orphée. L’interprétation reste donc libre.

Ce qui semble le plus mystérieux est l’exigence imposée par les dieux : regarder en arrière est fatal…

Ne s’agit-il pas d’une leçon sur l’irréversibilité du temps ? Le passé doit rester au passé ; ce qui est derrière l’homme doit rester derrière l’homme ; on ne peut rattraper le passé et encore moins lui courir après. La condition humaine reste prisonnière de son passé ; en regardant devant, on finit par accepter son passé et construire son présent. Le devenir de l’homme est irrémédiable et les épreuves qu’il affronte au cours de sa vie ne pourront jamais le ramener en arrière.

À travers l’image magnifique de la bravoure du héros Orphée, on peut voir une acceptation de l’irrémédiabilité de l’existence humaine. En allant à l’encontre des lois naturelles du temps, il fait mourir une deuxième fois son amour. Ses efforts et sa quête ne peuvent renverser ces lois universelles qui régissent le monde. Renoncer à son sort est une expérience vaine.

Publié dans:Etudes, L'Antiquité |on 16 mai, 2021 |Pas de commentaires »

La Satire dans l’antiquité – 2

ChapiteauLangogne

On connaît des dénominations gaéliques pour des variétés de satire dans le monde celtique païen, grâce au travail des copistes irlandais au cours du moyen-âge.

Ainsi, il est fait référence de quatre appellations en fonction des circonstances :

imbas forosnai,

glam dicinn,

teinm laegda,

dichetal do chennaib cnaime.

Il semble que l’usage de ces types de satire élaborée soit exclusivement réservé à la classe sacerdotale suprême, c’est à dire aux druides.

L’imbas forosnai est traduit en français par « la très grande science qui illumine ».

Le glam dicinn, que j’ai évoqué dans l’article La Satire dans l’antiquité, est donc « la malédiction extrême » ou « le cri ».

Le teinm laegda est « l’illumination du chant ».

Le dichetal do chennaib cnaime est « l’incantation par les bouts d’os » (!).

Cette dernière appellation est métaphorique : il faut comprendre par « les bouts des doigts ».

De ces distinctions, on ne sait pas grand chose quant à leurs modes d ’exécution, leurs techniques et surtout leurs différences et leurs champs d’application.

Ce qui peut attirer notre attention sur l’importance de ces exercices diffamatoires, dans la vie sociale des Celtes, est le qualificatif du druide officiant, véritable expert en la matière : corrguinech, c’est à dire « la pointe qui blesse » !

On imagine bien le pouvoir des mots dans la bouche du druide, pour détruire socialement un ennemi, un banni, ou quelque paria honni du clan.

Il est intéressant de constater encore l’usage des métaphores et des images éloquentes dans ces sociétés archaïques.

 

(cf également à ce sujet les articles  : De l’éloquence, Le lien historique entre poète et guerrier )

Publié dans:Etudes, L'Antiquité |on 5 avril, 2021 |2 Commentaires »

Le centre chez les Celtes (ou le nombril du monde)

Impression

La notion spatiale de centre est attestée chez les peuples celtes dans la mythologie et grâce à l’archéologie. Elle représente dans la spiritualité païenne la concentration de l’essence sacrée. De ce lieu, plus symbolique que réellement géographique, doit sortir l’axe du monde tant vénéré par les sociétés pré-chrétiennes.

La mythologie irlandaise relate un rite archaïque lors de la quatrième invasion de l’île :

« Trouvant le pays inhabité, ils [les fils de Déla] se le partagèrent en cinq parts égales, dont les bords se rencontrent à une certaine pierre dans le Meath […]. Cette pierre est appelée l’ombilic de l’Irlande, comme si elle était placée juste au centre du pays. Et c’est pourquoi cette région d’Irlande s’appelle Meath-Media, parce qu’elle est située au milieu de l’île. Les cinq frères […] partagèrent donc l’île en cinq parts, de telle sorte que chacune d’entre elles possède une petite portion du Meath, touchant la pierre dont j’ai parlé. »

Ainsi l’ombilic exprime bien le nombril du pays, c’est à dire son centre. La pierre dont il est question est sans doute érigée en un lieu propice aux réunions sacrées et ne représente pas le centre géographique du territoire ( « comme si elle était placée juste au centre du pays ») à proprement parler. Nous sommes donc face à un marqueur symbolique, gage d’harmonie et d’équilibre entre les clans.

Il est à noter que la pierre peut prendre la forme d’un arbre en tant que pilier cosmique du monde. On connaît d’ailleurs dans les traditions germaniques l’importance du frêne sacré. Les Celtes ont désignés leurs espaces sacrés (« nemetons ») dans des bosquets ou forêts primaires.

César , dans la Guerre des Gaules, indique aussi un centre, « consacré, au pays des Carnutes , et arbitrent les différends entre particuliers ou entre la soixantaine de peuples qui forment cette mosaïque bigarrée qu’est alors la Gaule ». Ce lieu décrit sans doute un des pôles sacrés des Gaulois dans la mesure où il en existait sans doute d’autres, mobiles et connectés les uns aux autres en fonction des territoires conquis par les Romains.

Le centre du (ou des) monde(s) fonctionnait symboliquement dans les sociétés païennes européennes. Son marqueur, l’arbre ou la pierre dressée, concentrait le Sacré des peuples. Charles Drekmeier insiste sur la notion religieuse commune aux Celtes :

« Ce qui fit l’unité des mondes celtiques fut plus certainement la religion qu’une forme de régulation politique, à l’instar de l’Inde ancienne.»

Le nombril du monde est donc la représentation allégorique d’un espace central et commun à toutes les communautés ethniques du territoire partagé, qui semble relier les peuples à leurs mythes fondateurs et à leurs ancêtres, comme l’ombilic relie la mère à l’enfant.

Publié dans:Etudes, L'Antiquité, Le Haut Moyen-Age |on 27 mars, 2021 |1 Commentaire »
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