Archive pour la catégorie 'Etudes'

La geste héroïque des Païens

Il y a des épisodes dans la geste des peuples dits archaïques qui relèvent d’un moment héroïque.

L’exploit est une valeur hautement appréciée dans les sociétés indo-européennes. Il fait de l’être commun, un homme exceptionnel. Dans la tradition clanique des peuples païens, l’exploit fait du quidam un héros ou tout du moins un champion.

Quand il s’agit d’un ultime exploit, tel la mort au combat, il exalte les peuplades et garantit à l’auteur un au-delà remplit d’honneur et de hauts-faits, aux côtés des dieux. Pour les vikings, par exemple, la Halle des morts ou Walhalla, est un lieu accueillant tous les héros des champs de bataille. Ces soldats sont sous le commandement du dieu suprême Odin. Ils se battent tous les matins et festoient tous les soirs. Il est intéressant de constater que dans le monde mythologique indien, on voit le même état d’esprit pour louer les qualités héroïques d’hommes en armes. Relevons le passage où Duryodhana, guerrier opposant aux Pandavas, montre quelques qualités de l’archétype du guerrier :

 » Ce qui vaut ici-bas d’être obtenu, c’est la gloire, et elle ne peut l’être que par le combat. Finir dans sa maison est chose blâmable pour un ksatriya (guerrier) ; mourir chez soi, couché, c’est manquer grandement au devoir. L’homme qui rejette son corps soit dans la forêt comme ascète, soit dans la bataille, après avoir célébré de grands sacrifices, celui-là va à la gloire… Abandonnant les diverses jouissances, je puis maintenant, par ce combat livré, aller jusqu’au monde d’Indra, la meilleure destination pour les morts. Le ciel est le séjour des héros à la noble conduite, qui ne tournent pas le dos dans les batailles… Les troupes joyeuses des Apsaras les contemplent maintenant dans le combat, maintenant les Pères les regardent, honorés, dans l’assemblée des dieux, prenant leur plaisir au ciel en compagnie des Apsaras. Par le chemin que suivent les immortels, les héros qui ne reviennent pas du combat, nous aussi nous allons monter… »

On voit à quel point l’image de l’exploit a laissé des traces tenaces chez les Indo-Européens. L’exploit est souvent un fait d’armes retentissant. Il garantit à l’auteur un statut social honorifique et devient un modèle pour les hommes de son clan. On voit à quel point les valeurs martiales sont louées dans ces sociétés païennes. La liste de kenningar dans la tradition nordique est assez édifiante pour évoquer le guerrier :

« Arbre du casque », « Teinturier des épées », « Délice des corbeaux », « Rougisseur du bec des corbeaux », « Réjouisseur/Amuseur de l’aigle »…

L’exaltation au combat fait partie de la geste héroïque des Païens. Les images mythologiques nous montrent à quel point elle était importante dans les sociétés guerrières.

Publié dans:Etudes, Le Moyen-Age |on 28 décembre, 2022 |Pas de commentaires »

L’image de la grue

La grue est un oiseau aquatique dont la signification et le symbolisme dans la mythologie européenne sont tellement riches, qu’elle peut perdre le lecteur dans les méandres d’un labyrinthe.

Étymologiquement parlant, grue vient de « Gerana » en grec ancien. Gerana fut une figure importante d’un mythe oublié : elle incarnait une déesse pour les Pygmées (peuplade mythologique de taille équivalente à « une hauteur d’une coudée »). Elle fut changée en grue par la déesse Héra, jalouse de la dévotion dont elle jouissait. Mais les Pygmées, qui étaient alors en guerre contre les grues, la repoussèrent, la prenant pour un ennemi…

La « Gerana » ou la « Geranos » est aussi une danse sacrée grecque. Elle tient son origine dans le mythe de Thésée sortant du labyrinthe de Crète, construit par Dédale. Elle aurait eu pour fonction de mimer le passage dans les couloirs du labyrinthe pour en indiquer la solution. Plutarque raconte à ce sujet : « Thésée, à son retour de Crète, aborda à Délos ; après avoir sacrifié au dieu et consacré la statue d’Aphrodite qu’Ariane lui avait donnée ; il exécuta avec les jeunes gens un chœur de danse qu’on dit être encore en usage aujourd’hui chez les Déliens et dont les figures imitaient les tours et les détours du labyrinthe, sur un rythme scandé de mouvements alternatifs et circulaires. Les Déliens donnent à ce genre de danse le nom de « grue », à ce que rapporte Dicéarque. Thésée la dansa autour du Kératon, autel formé de cornes qui sont toutes des cornes gauches. »

Il existe plusieurs représentations de cette danse sacrée. L’archéologie en a exhumée une très explicite sur l’île de Paros. Un bijou en stéatite présente sur ces deux faces des images de « Geranos ». On y voit sur le recto des danseurs entourés de poissons et accompagnés d’une grue ; et sur le verso, le dessin d’un labyrinthe avec des motifs serpentant.

Les origines cycladiques de la geranos : sur un pendentif en pi Les origines cycladiques de la geranos : sur un pendentif en pi

La grue serait donc la représentation de la solution des méandres du labyrinthe. On peut imaginer qu’il puisse s’agir d’un rite dit de « passage », c’est à dire l’accomplissement d’un rituel symbolisant le changement d’état social d’un individu, à travers une épreuve. Elle incarne une transformation, puisqu’elle est, elle-même, changée en volatile par la colère de Héra. La grue est donc l’image de la transmutation, du changement d’état. D’ailleurs, on comprend bien cette portée symbolique d’un point de vue biologique. Cet oiseau a sa place dans le ciel (le monde d’en haut) mais se nourrit dans les eaux peu profondes (le monde d’en bas). Elle semble donc faire le lien entre deux mondes. Sans doute, s’agit-il là d’une expression d’un rituel lié aux changements d’état de l’homme au cours de sa vie, peut-être même au-delà de celle-ci, dans la mesure où la grue deviendrait alors l’animal psychopompe de l’antiquité.

Publié dans:Etudes, L'Antiquité |on 23 octobre, 2022 |1 Commentaire »

L’expression celtique

La tradition orale que l’on connaît chez les Celtes de l’antiquité n’aura laissé de traces historiques que dans les témoignages de leurs contemporains ou tardivement chez les Irlandais christianisés. Les bribes de textes dont on dispose apparaissent tellement hétérogènes, par la diversité de leurs contenus, que plusieurs chercheurs ont émis l’hypothèse qu’ils représentaient des canevas sur lesquels les bardes brodaient à l’envi.

Christian-J. Guyonvarc’h, professeur de celtique à l’université de Rennes, explique à ce sujet :

 » Les phrases sont simples, généralement courtes ; les liaisons sont fréquentes, mais sans variété, avec une grande quantité de pléonasmes et de redondances, de répétitions et d’ellipses, de sous-entendus. La base de l’expression est la métaphore ou, parfois la figure étymologique, très vieux procédés indo-européens. Le style courant accumule les épithètes et les qualificatifs sans liaison verbale, les formules triples, les synonymies, ce qui est à la fois pittoresque, brutal et puéril. Tout cela convient très bien à la phrase celtique, au rythme rapide mais au souffle court : la multiplicité et la souplesse des formes verbales autorisent une extraordinaire richesse d’expression dans la proposition principale. »

Ainsi, on peut se faire une idée de l’expression celtique dans l’époque pré-chrétienne. Il est intéressant de faire le parallèle avec la formulation des scaldes (poètes vikings) nordiques. Leur locution qui a été transmise par Snorri Sturlusson, dans les Sagas islandaises, procède des mêmes outils et d’une semblable formulation.

Publié dans:Etudes, L'Antiquité, Le Haut Moyen-Age |on 1 septembre, 2022 |Pas de commentaires »

Le sens de la boisson chez les païens

Il est frappant de constater des similitudes dans la représentation de personnages portant des boissons chez les Nordiques, Germains et Celtes.

On connaît déjà toute la magie liée à la boisson chez les vikings (voir à ce sujet les articles Les Runes et les kenningar et Le Kenning et la magie 2) ; plusieurs gravures de bijoux illustrent une femme porteuse d’une corne à boire.

Porteuse de corne a boire

Chez les Celtes de l’antiquité, on trouve le même type de représentations sur des pièces de monnaie. Sur l’une d’elles, datant du troisième siècle avant JC, appartenant au clan des Rèmes (tribu gauloise de la région de Champagne-Ardennes), on y voit une femme coiffée, portant ce qui semble être un récipient en forme de corne.MonnaieGauloiseRemesMonnaieGauloiseRemes

MonnaieGauloiseRemes

Nous avions évoqué l’image de la souveraineté celtique dans l’article. Serions-nous en présence d’un archétype de la boisson chez les païens ? Les similitudes et l’expression utilisées à plusieurs siècles d’intervalles laissent penser qu’il s’agit d’une thématique forte et tellement tenace qu’elle a dû se perpétuer dans la transmission du savoir au sein des clans païens, à l’échelle européenne.

Bien sûr, une première lecture du phénomène laissera à penser que nos ancêtres aimaient la boisson au point d’en représenter l’acte jusque sur des objets précieux. Ce serait avoir une vision réductrice du sujet et laisser de côté toute la symbolique et la poésie que l’on connaît grâce aux kenningar, entre autres.

Associons la parole à ces gravures. Que nous disent les Celtes ? « Que ce soit à toi la boisson qui coulera de la corne royale ! Elle sera hydromel, elle sera miel, elle sera forte bière ! » (propos de la reine Mebd s’adressant à Niall, extrait des Annales d’Ulster). On reconnaît le rite de la transmission de la souveraineté dont nous avons parlé plus haut.

Que nous disent les Germains et Nordiques ? « Arbre de l’assemblée des cuirasses, Je t’apporte de la bière, Mêlée de pouvoir et de renommée, Forte d’incantations puissantes, Et de runes de Joie ! «  (chant de Brunehilde pour Siegfried, extrait des Nibelungen). Ici, nous avions évoqué le pouvoir magiques des runes avec une déclamation poétique, dans les articles ultérieurs référencés.

Nous avons d’un côté le contenu même de la boisson, ou en tout cas son image symbolique : la bière, l’hydromel, le miel ; et de l’autre, des notions complexes telles la magie, la royauté, la souveraineté… On peut interpréter que la boisson ainsi représentée symbolise le rite de passation (comme on se passe la corne à boire) entre postulants à l’enseignement ésotérique et/ou prétendants à la charge de souverain. Le liquide qui se transmet de main en main est le liant entre officiants ; il porte la connaissance et la sagesse requises enseignées, qui devront être absorbées symboliquement pour assumer le nouveau pouvoir ainsi acquis.

Publié dans:Etudes, L'Antiquité, Le Moyen-Age |on 5 août, 2022 |Pas de commentaires »

Le trône du dieu souverain germanique

WodanOeil

Dans la mythologie germanique et scandinave, le dieu souverain Odin (ou Wodan dans sa forme continentale) est représenté sur un trône. Celui-ci se nomme Hlidhskjalf. L’étymologie du mot norrois peut nous éclairer sur la fonction du dieu. Régis Boyer le rapproche du verbe skjalfa, signifiant trembler. On pourrait associer ce mot au tremblement du sorcier/chaman quand il officie un rite et qu’il est pris de transe. D’ailleurs, on sait déjà que le culte odinique a toujours un rapport avec la pratique de la magie. Odin a, parmi ses attributs et fonctions, le pouvoir de provoquer la fureur sacrée. Le siège sur lequel il officie serait donc une image de son extase rituelle.

Boyer évoque également le rapprochement avec une traduction probable qui serait celle de « pente à degrés ». Le trône pourrait ainsi symboliser un axe à niveaux comme peut l’être le pilier de la yourte du chaman nordique. Ce poteau central symbolise l’axe du monde et est gravé de neuf encoches. On l’attribue volontiers au frêne Yggdrasil soutenant les neuf mondes dans la mythologie germano-scandinave.

Familier de la polymorphie des kenningar, il n’est pas extravagant de considérer que le terme Hlidhskjalf représente une double image du trône du dieu souverain germanique. Tel un entrelac gravé dans le bois, l’image du trône apparaît avec deux sens complémentaires et qui vont parfaitement bien à la fonction et à l’histoire même du dieu. Ainsi, se laissant porter par ses images expressives et parlantes, on accède plus facilement au sens profond du culte dédié à la divinité. La puissance des images parle mieux que n’importe quelle analyse.

 

Publié dans:Etudes, Le Moyen-Age |on 19 juin, 2022 |1 Commentaire »

L’ambivalence du poème païen

Le coffret d’Auzon est un coffre réalisé en os de baleine et découvert dans une petite commune de Haute-Loire. Il est gravé de runes. Plusieurs poèmes ont été traduits. L’un d’eux est ambivalent, comme le sens des runes elles-mêmes.

 » Le poisson a été rejeté de l’eau,

Sur la côte rocheuse,

Par la marée.

Il tonne sa colère

Pendant que le poisson nage dans l’écume. »

De prime abord, ce beau poème semble exprimer la colère qu’a pu ressentir la baleine en ayant échoué sur le rivage, pour ensuite servir de matériau de construction du coffret.

En remettant dans le contexte historique l’inscription runique, on peut y voir un second sens métaphorique. Il pourrait avoir une origine anglo-saxonne et dater du VIII ème siècle. Cette époque marque l’avènement du christianisme dans une grande partie de l’Europe. Or, il faut insister sur le fait que les motifs du coffret sont bien païens, comme l’illustration de la scène de bataille tirée de la légende d’Egil. Rappelons que l’usage des runes est historiquement rattaché au fond mythologique germano-scandinave. Dans une perspective de confrontation religieuse, on peut tout à fait mettre un sens métaphysique aux vers. Le poisson devient le symbole de la religion chrétienne ; elle se répand par les rivages de la mer Méditerranée (  » Sur la côte rocheuse, par la marée  » ) ; elle s’impose par la force et les persécutions (  » il tonne sa colère «  ) ;  elle fraie dans les milieux élitistes des sociétés (  » le poisson nage dans l’écume.  » ).

On connaît l’ambivalence de la poésie païenne à travers l’utilisation des kenningar. Cet exemple est frappant des images et des symboles qui s’insèrent dans les vers et qui mettent de la profondeur à la trivialité.

Publié dans:Etudes, Le Moyen-Age |on 8 avril, 2022 |Pas de commentaires »

Thor, l’archétype masculiniste

Le dieu Thor, dans la mythologie germano-scandinave, possède des qualités et attributs pour le moins virils. Incarnation de la force brutale, possesseur du marteau Mjölnir, symbole phallique*, grand combattant, son culte fut très répandu à l’époque des vikings. On comprend que ses exploits furent des modèles de bravoure pour les aventuriers du nord.

Dans le texte ancien Harbardsljod (ou chant de Harbard) il est narré un épisode fameux :

« À Hlesey j’ai combattu les femmes berserkr

Qui avaient fait de leur mieux pour tuer tout un peuple…

Elles étaient plutôt des louves que des femmes. »

Les berserkr ou littéralement les « peaux d’ours » sont une élite de guerriers liée au culte odinique. Ici, il est donc question de guerrières ayant les mêmes caractéristiques des guerriers ours masculins. L’auteur poursuit en précisant que leur totem est le loup plutôt que l’ours.

On comprend dans cet extrait que Thor a maté ces amazones. Le premier niveau de lecture traduit bien la force destructrice de notre héros et ses aptitudes au combat.

Mais nous savons que les images choisies par les auteurs de cette époque regorgent de sens et d’idées derrière leurs premières apparences. Il en va ainsi des kenningar. Aussi, dans ce court récit, on peut y voir un second niveau de lecture. Le héros masculin met à mal les guerrières louves ; il réduit le pouvoir féminin et en devient le fossoyeur. Thor incarne alors l’archétype masculiniste qui a supplanté le culte matriarcal précédent.

 

*voir à ce sujet les articles Thor, le dieu des fermiers ?, Le marteau de Thor et sa fonction fertilisante, L’ambivalence de l’image de Thor, Le culte phallique

 

Publié dans:Etudes, Le Moyen-Age |on 30 mars, 2022 |Pas de commentaires »

La force du poème de louange

Dans la saga islandaise de Njall le Brûlé, il est fait mention d’un combat héroïque entre Gunnar et plusieurs dizaines d’hommes (dont le nombre varie selon les manuscrits). Haukr Valdisarson a composé une « drapa » en sa mémoire, c’est à dire un poème de louange. Ce type de texte est récurrent dans les sagas islandaises et devait sans doute être chanté :

 » Bellement se défendit
Gunnar contre les arbustes
De l’enclos de Göndul,
Mais Gizurr attaqua le champion
D’une excessive ardeur ;
Le Njördr de la pluie des glaives
Blessa seize arbres du vacarme des lances
(Rudement joua l’homme avec les fléaux)
Et en tua deux. »

Comme le style de la drapa l’exige, on trouve beaucoup de kenningar dans ce valeureux chant :

 » Les arbustes de l’enclos de Göndul «  représentent les guerriers.
 » Le Njördr de la pluie des glaives «  est une image pour le héros Gunnar.
De même, la métaphore les « arbres du vacarme des lances «  fait référence aux combattants armés.

Ainsi la foison d’expressions savantes pour honorer les braves devait représenter un style prisé à l’époque. L’abondance de ces images permettait à un auditoire de garder en mémoire la geste du guerrier. Une fois de plus, on constate combien l’idéal de bravoure et de courage dans le combat fut exalté à travers ces chants magnifiques.

Un autre scalde (poète), Thormodr Olafsson, résume parfaitement bien l’intérêt porté à ce genre de louanges, en faisant référence au même Gunnar :

 » Nul dispensateur du soleil
Du monde des sables
Ne fut plus vaillant en Islande
Aux temps païens que Gunnar ;
il convient de le louer… »

 

Publié dans:Etudes, Le Moyen-Age |on 2 janvier, 2022 |Pas de commentaires »

L’ambivalence de l’image de Thor

On connaît la double fonction du dieu Thor dans la mythologie scandinave (cf à ce sujet Le marteau de Thor et sa fonction fertilisante). Il est défini initialement comme un grand combattant défendant les intérêts du peuple contre les forces destructrices que représentent les géants. Cet attribut martial semble avoir évolué vers une fonction plus fertilisante, sans que l’on sache dans quel ordre ce « glissement » ait opéré.

S’agit-il d’une appropriation contemporaine du Moyen-âge, qui confrontée au bouleversement religieux de l’étendue du christianisme aura défini autrement les vieilles divinités ? Ou au contraire, sommes-nous en présence d’un culte beaucoup plus ancien qui donnait initialement le dieu comme représentant de la troisième fonction comme le fut Freyr, dieu de la fécondité ?

Les sagas islandaises regorgent de surnoms de personnages héroïques rattachés au nom du dieu Thor (Thorsteinn, Thorulfr, Thorin, …), laissant à penser qu’il fut très populaire ; son culte semble avoir été très répandu chez les guerriers. C’est pourquoi dans l’image populaire, on le pense comme un grand guerrier. Pour autant, il semble plus honnête de le considérer comme un guerrier, certes, mais rattaché aux forces célestes que sont la foudre, la pluie, le tonnerre. Les valeurs que revendiquent les hommes qui le vénèrent sont le courage, la force brute, l’esprit de justice mais aussi sa simplicité, son manque de duplicité (contrairement à Odin).

Que dire des pétroglyphes retrouvés dans le sud de la Suède représentant un personnage au maillet bénissant l’union d’un couple ? Le fait de déposer un marteau dans le lit d’un couple, toujours en Suède, encore au XXème siècle, n’est-il pas la survivance des images gravées dans la pierre, antérieures de plusieurs millénaires ?

Le dieu au maillet est ainsi défini par Adam de Brême, quand il décrit le temple suédois d’Uppsala, comme le dieu principal, trônant au milieu et explicitement «  maître de l’atmosphère et gouvernant le tonnerre et la foudre, les vents et les pluies, le beau temps et la moisson… ».

Il est donc difficilement opposable que Thor n’ait pas été le dieu du peuple paysan, défendant les intérêts agricoles et représentant de la fécondité par le marteau phallique dont la semence (la pluie) mettra la terre-mère en germination.

Pour Georges Dumézil, l’affaire est clairement entendue dans son œuvre « Mythes et Dieux des Indo-Européens ». En parlant d’Adam de Brême, il dit : « il n’y a pas de raison de récuser l’essentiel de son témoignage : le glissement de la guerre dans le domaine de Wodan (Odin), le glissement inverse de Thor au service du paysan sont des faits. »

Les époques auxquelles on fait référence n’ont guerre de liens logiques entre elles dans la mesure où l’on se rend bien compte qu’aux mêmes moments, des visions différentes du dieu coexistent sans que l’on relève d’objections dans les témoignages de chacune des périodes. Nous devons donc admettre que le culte de Thor fut complexe et ambivalent. Je m’orienterais davantage vers une hypothèse « régionaliste » pour expliquer le phénomène. En effet, les grosses différences de culte rendu au dieu Thor résident surtout dans des localités éloignées les unes des autres plutôt que dans des époques distantes. L’Islande, théâtre de toutes les grandes aventures vikings fut propice à la célébration du courage, de la vaillance et de la force du dieu dans ses combats. Il semble que ces valeurs n’aient retenu l’unique attention des colons norvégiens qui avaient combattu et fuit le roi Haraldr. Le culte du héros incarné par les exploits de Thor rentrait en résonance avec l’épopée que ces guerriers écrivaient dans l’histoire. En parallèle, les scandinaves qui étaient restés à demeure, poursuivaient leurs activités de subsistance sous des latitudes peu clémentes. Il est donc logique que le même dieu fut plus apprécié comme une déité invoquée pour favoriser les bonnes moissons et l’abondance des cultures.

Ainsi, on voit émerger l’image du maillet comme attribut de jet martial et représentant de la force du combat du dieu ; mais aussi symbole phallique de fertilité et de prospérité. Thor, selon les lieux de culte, sera l’avatar de la force guerrière mais aussi de la force fécondante.

 

 

 

Publié dans:Etudes, L'Antiquité, Le Moyen-Age |on 14 novembre, 2021 |Pas de commentaires »

L’axe du monde : arbre ou cheval ?

C’est dans la mythologie nordique que l’on trouve le plus d’informations sur l’arbre cosmique, pilier du monde.

Il est appelé Yggdrasill qui littéralement signifie le  » coursier du redoutable « . Le  » redoutable  » étant un qualificatif pour désigner le dieu suprême Odin.

Dans une interprétation commune, il est de coutume de dire que cet arbre symbolise l’axe du monde. Quand on rapproche l’étymologie du nom d’Yggdrasill aux pratiques chamaniques dont se réfère le culte odinique, on interprète l’appellation de la manière suivante :

Odin, tel le chaman a besoin d’un support en bois pour effectuer ses voyages chamaniques, sa transe vers d’autres mondes. On sait que le chaman lapon (ou sibérien) grave de neuf encoches le poteau central de sa yourte pour lui permettre de passer dans les neuf mondes. La mythologie nordique parle aussi des neuf mondes. Ainsi, un parallèle est logiquement fait entre la pratique chamanique et le culte odinique. Le mythe et les mots utilisés ne sont que l’expression imagée d’un rituel magique. On comprend alors que le  » coursier du redoutable  » représente l’axe du monde sur lequel Odin fait sa chevauchée astrale.

Pour autant, il est intéressant d’envisager une autre interprétation, toujours sur la base de l’étymologie. Le terme  » redoutable  » qui sied à Odin peut aussi être envisagé comme  » terreur  » sur la racine  » Yggr « . L’axe du monde serait ainsi nommé «  arbre terrifiant « . Dans le mythe consacré à l’auto-sacrifice du dieu suprême, on sait que c’est bien Yggdrasill sur lequel il se pend. Alors, l’arbre devient la potence du dieu et de fait cet «  arbre terrifiant  » car symbole de mort.

Arbre et cheval, l’axe du monde se révèle de bien des manières. La profusion des symboles et des métaphores pour désigner une même chose démontre la richesse du mythe.

Publié dans:Etudes, Le Moyen-Age |on 9 octobre, 2021 |Pas de commentaires »
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