Un poème obscur
Beaucoup de poèmes nordiques sont difficiles à interpréter. La traduction littérale représente souvent un frein au sens général. En effet, devant la profusion des images et la multiplication des interprétations, on peut vite se perdre et passer à côté du sens et de la beauté évoqués.
Dans la Saga d’Egill, fils de Grimr le Chauve, on tombe sur une visa particulièrement difficile à comprendre. Elle nécessite un effort tout particulier.
Il s’agit d’un passage où le héros Egill apprend la mort de plusieurs guerriers vikings à l’étranger.
Considérons de toute façon qu’il faut toujours appréhender ces poèmes « polymorphes » comme des écrits vivants. Effectivement, l’emploi des kenningar de manière entrelacée, tels des gravures de serpents emmêlés les uns aux autres, est typique de l’art oratoire des nordiques. Ne soyons donc pas troublés de les voir prendre vie et s’agiter devant le lecteur curieux.
« Décroissent en nombre les renommées du thing
D’Yngvi, ceux qui diminuaient
Les jours de la parure de l’hydromel ;
Où chercherai-je les hommes généreux
Qui au-delà de la ceinture cloutée d’îles
De la terre faisaient grêler
La neige dégouttante sur mon haut plateau
Du faucon à cause de mes paroles ? »
« Yngvi » est le dieu roi des mers ; son « thing » (ou assemblée législative chez les vikings) représente la bataille, ses « renommées » les guerriers.
« La parure de l’hydromel » est une belle image pour évoquer l’or. « Ceux qui le diminuent » sont sans doute les princes et seigneurs s’accaparant les richesses.
« La ceinture cloutée d’îles de la terre » est l’image d’un archipel marquant probablement la fin d’un territoire avant de prendre le large.
« Faisant grêler la neige dégouttante » évoque le fait de faire tomber des pièces.
« Le haut plateau du faucon » est assez difficile à comprendre ; Régis Boyer le traduit par la main, ce qui n’est pas convaincant mais prend son sens dans l’interprétation générale :
Les guerriers meurent, ces seigneurs assoiffés d’or. Où chercherai-je les hommes généreux qui au-delà de la mer, me versaient des pièces d’or dans la main, en récompense de mes poèmes ?