L’ambivalence du poème païen
Le coffret d’Auzon est un coffre réalisé en os de baleine et découvert dans une petite commune de Haute-Loire. Il est gravé de runes. Plusieurs poèmes ont été traduits. L’un d’eux est ambivalent, comme le sens des runes elles-mêmes.
» Le poisson a été rejeté de l’eau,
Sur la côte rocheuse,
Par la marée.
Il tonne sa colère
Pendant que le poisson nage dans l’écume. »
De prime abord, ce beau poème semble exprimer la colère qu’a pu ressentir la baleine en ayant échoué sur le rivage, pour ensuite servir de matériau de construction du coffret.
En remettant dans le contexte historique l’inscription runique, on peut y voir un second sens métaphorique. Il pourrait avoir une origine anglo-saxonne et dater du VIII ème siècle. Cette époque marque l’avènement du christianisme dans une grande partie de l’Europe. Or, il faut insister sur le fait que les motifs du coffret sont bien païens, comme l’illustration de la scène de bataille tirée de la légende d’Egil. Rappelons que l’usage des runes est historiquement rattaché au fond mythologique germano-scandinave. Dans une perspective de confrontation religieuse, on peut tout à fait mettre un sens métaphysique aux vers. Le poisson devient le symbole de la religion chrétienne ; elle se répand par les rivages de la mer Méditerranée ( » Sur la côte rocheuse, par la marée » ) ; elle s’impose par la force et les persécutions ( » il tonne sa colère « ) ; elle fraie dans les milieux élitistes des sociétés ( » le poisson nage dans l’écume. » ).
On connaît l’ambivalence de la poésie païenne à travers l’utilisation des kenningar. Cet exemple est frappant des images et des symboles qui s’insèrent dans les vers et qui mettent de la profondeur à la trivialité.