L’ambivalence de l’image de Thor
On connaît la double fonction du dieu Thor dans la mythologie scandinave (cf à ce sujet Le marteau de Thor et sa fonction fertilisante). Il est défini initialement comme un grand combattant défendant les intérêts du peuple contre les forces destructrices que représentent les géants. Cet attribut martial semble avoir évolué vers une fonction plus fertilisante, sans que l’on sache dans quel ordre ce « glissement » ait opéré.
S’agit-il d’une appropriation contemporaine du Moyen-âge, qui confrontée au bouleversement religieux de l’étendue du christianisme aura défini autrement les vieilles divinités ? Ou au contraire, sommes-nous en présence d’un culte beaucoup plus ancien qui donnait initialement le dieu comme représentant de la troisième fonction comme le fut Freyr, dieu de la fécondité ?
Les sagas islandaises regorgent de surnoms de personnages héroïques rattachés au nom du dieu Thor (Thorsteinn, Thorulfr, Thorin, …), laissant à penser qu’il fut très populaire ; son culte semble avoir été très répandu chez les guerriers. C’est pourquoi dans l’image populaire, on le pense comme un grand guerrier. Pour autant, il semble plus honnête de le considérer comme un guerrier, certes, mais rattaché aux forces célestes que sont la foudre, la pluie, le tonnerre. Les valeurs que revendiquent les hommes qui le vénèrent sont le courage, la force brute, l’esprit de justice mais aussi sa simplicité, son manque de duplicité (contrairement à Odin).
Que dire des pétroglyphes retrouvés dans le sud de la Suède représentant un personnage au maillet bénissant l’union d’un couple ? Le fait de déposer un marteau dans le lit d’un couple, toujours en Suède, encore au XXème siècle, n’est-il pas la survivance des images gravées dans la pierre, antérieures de plusieurs millénaires ?
Le dieu au maillet est ainsi défini par Adam de Brême, quand il décrit le temple suédois d’Uppsala, comme le dieu principal, trônant au milieu et explicitement « maître de l’atmosphère et gouvernant le tonnerre et la foudre, les vents et les pluies, le beau temps et la moisson… ».
Il est donc difficilement opposable que Thor n’ait pas été le dieu du peuple paysan, défendant les intérêts agricoles et représentant de la fécondité par le marteau phallique dont la semence (la pluie) mettra la terre-mère en germination.
Pour Georges Dumézil, l’affaire est clairement entendue dans son œuvre « Mythes et Dieux des Indo-Européens ». En parlant d’Adam de Brême, il dit : « il n’y a pas de raison de récuser l’essentiel de son témoignage : le glissement de la guerre dans le domaine de Wodan (Odin), le glissement inverse de Thor au service du paysan sont des faits. »
Les époques auxquelles on fait référence n’ont guerre de liens logiques entre elles dans la mesure où l’on se rend bien compte qu’aux mêmes moments, des visions différentes du dieu coexistent sans que l’on relève d’objections dans les témoignages de chacune des périodes. Nous devons donc admettre que le culte de Thor fut complexe et ambivalent. Je m’orienterais davantage vers une hypothèse « régionaliste » pour expliquer le phénomène. En effet, les grosses différences de culte rendu au dieu Thor résident surtout dans des localités éloignées les unes des autres plutôt que dans des époques distantes. L’Islande, théâtre de toutes les grandes aventures vikings fut propice à la célébration du courage, de la vaillance et de la force du dieu dans ses combats. Il semble que ces valeurs n’aient retenu l’unique attention des colons norvégiens qui avaient combattu et fuit le roi Haraldr. Le culte du héros incarné par les exploits de Thor rentrait en résonance avec l’épopée que ces guerriers écrivaient dans l’histoire. En parallèle, les scandinaves qui étaient restés à demeure, poursuivaient leurs activités de subsistance sous des latitudes peu clémentes. Il est donc logique que le même dieu fut plus apprécié comme une déité invoquée pour favoriser les bonnes moissons et l’abondance des cultures.
Ainsi, on voit émerger l’image du maillet comme attribut de jet martial et représentant de la force du combat du dieu ; mais aussi symbole phallique de fertilité et de prospérité. Thor, selon les lieux de culte, sera l’avatar de la force guerrière mais aussi de la force fécondante.