Le Heaume de terreur
Dans les Sagas islandaises et les mythes scandinaves, le thème du « heaume de terreur » est récurrent.
Citons par exemple un passage de la Saga des gens du Val-au-Saumon, traduite par Régis Boyer. Pour situer le contexte, Gestr est un grand chef de clan et un prédicateur reconnu ; Gudrun est sa parente (il n’est pas précisé le lien de parenté) et lui demande d’interpréter ses rêves. Elle lui décrit quatre rêves similaires dont le dernier attire particulièrement notre attention :
» Mon quatrième rêve, c’est qu’il me sembla avoir sur la tête un heaume d’or tout incrusté de pierres précieuses. j’avais l’impression que ce joyau m’appartenait. Ce qui me paraissait surtout ennuyeux, c’est qu’il était passablement lourd, car je pouvais à peine le porter et je penchais la tête. Je n’en accusais pourtant pas le heaume et je n’avais pas l’intention de m’en séparer. Toutefois il glissa de ma tête et tomba dans le Hvammsfjörd… »
Gestr prédit alors que Gudrun se mariera quatre fois et que son dernier mari sera « un très grand chef et (…) un heaume de terreur. »
Ce texte est intéressant car il comporte plusieurs kenningar.
Tout d’abord le « heaume de terreur » utilisé dans ces prédications signifie que le mari protégera Gudrun en épouvantant ses ennemis. Cette idée est habituelle dans le culte odiniste. Le dieu Odin foudroie de peur ses adversaires d’un simple regard. Un de ses surnoms est « Bileygr » qui littéralement signifie « l’oeil à l’éclat vacillant » ! À ce sujet, les guerriers ours (berserkrs), qui sont une aristocratie militaire placée sous la tutelle d’Odin, possèdent ce pouvoir dans les duels.
Mais on peut extrapoler l’image du heaume de terreur dans la mythologie grecque. En effet, la similitude avec l’égide est intéressante. Comme elle, le heaume de terreur protège et incarne la souveraineté. Seuls les dieux, les chefs ou les héros peuvent la porter comme une amulette et garantir ainsi son invulnérabilité.
En poursuivant le raisonnement, il devient pertinent de rattacher le heaume avec le masque porté dans ces sociétés païennes. Rappelons le, un des nombreux surnoms d’Odin est Grimr (Grimnir) qui signifie le « masqué« . On connaît son utilisation dans les rites magiques (cf à ce sujet L’image du masque à travers deux divinités). L’archéologie semble nous dévoiler un usage de casque tout particulier avec une protection faciale intégrale. Elle corrobore l’idée d’un culte odinique très prégnant.
Le plus cocasse dans la Saga des gens du Val-au-Saumon est que le nom même du chef, qui a le don de prophétie, se nomme Gestr… je renvoie le lecteur à l’article L’image du voyageur où j’explique qu’il s’agit d’un autre surnom du dieu Odin (voulant dire l’hôte, qui a donné « guest » en anglais).
Cet extrait possède donc une qualité littéraire et mythologique toutes particulières et semble entrelacer les images du dieu Odin sous différents aspects. Le rapporteur de cette saga (Snorri Sturluson ?) a sans doute multiplié volontairement les kenningar comme un jeu savant et permet à ses lecteurs contemporains de refaire vivre des croyances et des mœurs magnifiques.