Archive pour avril, 2020

La parole comme reconnaissance sociale

Dans la fameuse Saga d’Egill , fils de Grimr le Chauve, on trouve des éléments dans la narration des hauts faits des principaux protagonistes assez révélateurs des mœurs de l’époque viking.

Le jeune héros, Egill, alors âgé de trois ans, commence à déclamer ses premières visas (autrement dit poèmes de l’époque). Ce fait démontre une précocité exceptionnelle et un amour de la poésie et de l’éloquence qui sont autant de vertus admirées par les hommes accomplis que représentent les guerriers nobles ou hommes libres.

Egill est aujourd’hui connu en Islande pour être un grand scalde (poète islandais) et il est convenu dans le récit que ce talent lui soit apparu au cours de son jeune âge.

Dans la dite saga un hôte nommé Yngvarr assit Egill auprès de lui. Autour d’eux les hommes s’agitent et boivent tout en déclamant des strophes. Egill, qui ne veut pas être en reste, prononce alors ces mots :

 

« Me voici fort capable

Au foyer d’Yngvarr venu

Qui donne aux braves

La couche du serpent de la bruyère ;

Grande envie avait de le voir ;

Tu ne trouveras point

Dispensateur du sol du serpent

Homme de trois hivers plus ardent que moi. »

 

On y trouve des kenningar assez subtiles et élaborés pour un enfant de trois ans ce qui participe à la légende du héros.

Le serpent de la bruyère représente le dragon de la mythologie nordique Fafnir, gardien de l’or, lequel constitue sa couche. Le sens de la visa est de déclamer qu’Yngvarr donne de l’or à ses hommes. Le sol du serpent a sans doute le même sens d’or et son dispensateur est encore Yngvarr.

 

On comprend combien la magie du verbe et sa pratique représentaient des vertus à l’époque des vikings. Cette pratique élitiste et élaborée devait sans doute apparaître comme l’apanage des hommes instruits et de la chevalerie en général. À travers cet exemple, on discerne combien la prise de parole et sa qualité constituent des marqueurs sociaux déterminants. Egill, en déclamant publiquement son savoir-faire et son don pour la poésie, prétend à devenir un des plus grands guerriers et barde de l’époque viking.

Publié dans:Etudes, Le Moyen-Age |on 21 avril, 2020 |1 Commentaire »

Une vision épouvantable des Valkyries

La saga islandaise de Njall le brûlé révèle une vision particulière des Nornes. Les Nornes représentent des entités qui déterminent le destin des hommes dans la mythologie nordique. L’une incarne le passé, la seconde le présent, la troisième l’avenir.

Selon les textes, elles peuvent devenir des Valkyries et choisir les guerriers qui vont mourir.

« Le sang tombe

De la toile nuageuse

Du vaste tissu

Du massacre.

Le tissu de l’homme,

Gris comme une armure,

est en train d’être tissé ;

Les Valkyries

Le croiseront

D’un fil sanglant.

La trame

Est faite d’entrailles humaines ;

Des têtes coupées

Tendent ses fils ;

Les supports

Sont des lances ensanglantées ;

Les barres sont couvertes de fer,

Et des flèches en sont les navettes.

Avec des épées nous tisserons

La toile de la bataille.

Regarder autour de soi

Devient horrible maintenant,

Un nuage rouge comme le sang

Obscurcit l’horizon.

Les cieux sont teintés

Du sang des hommes,

Et les Valkyries

Chantent leur chant. »

Les Valkyries jouent souvent un double rôle dans la mythologie nordique. Le premier est celui de choisir les héros sur le champ de bataille. Il est terrible et effrayant. Le second est celui d’initiatrice. Il est récurrent de les trouver en train d’enseigner de la magie aux guerriers, comme pour le héros Siegfried qui va recevoir l’enseignement des runes dispensé par Brunehilde.

Dans cette version, on ne reconnaît exclusivement que la première fonction d’annonciatrice fatidique du destin à travers une révélation cauchemardesque.

Publié dans:Etudes, Le Moyen-Age |on 12 avril, 2020 |Pas de commentaires »

Un rite plurimillénaire

 

OdinSacrifice

 

Dans la démarche qui est la nôtre dans ce blog (faire connaître des traditions européennes et une forme de culture pré-chrétienne), il est toujours pertinent de mettre en perspective des éléments de mythologie séparés géographiquement de plusieurs milliers de kilomètres, comme séparés de plusieurs siècles.

Cet exercice non académique mais qui reprend l’esprit de la mythologie comparative de Dumézil, fournit des « éléments d’enquête » pertinents pour les modernes que nous sommes afin de nous représenter une forme de pensée que possédaient nos ancêtres.

À ce titre, l’orphisme et l’odinisme représentent deux mouvements religieux (pas au sens moderne du terme) dont on peut facilement tirer des parallèles tant les points communs sont nombreux et corroborent l’idée d’une Tradition archaïque primordiale commune qui aurait essaimé en Europe.

L’orphisme est un mouvement philosophico-religieux apparu en Grèce à partir du sixième siècle avant JC. Il tient son nom du demi-dieu Orphée, fils de la Muse Calliope et du dieu de la beauté et des arts Apollon. La mythologie grecque nous apprend qu’il avait le pouvoir de charmer les animaux sauvages. Il est souvent décrit comme un maître des incantations ou un enchanteur. Les adeptes de l’orphisme (les Orphéotélestes) représentent en quelque sorte une société élitiste, vivant éloignée des cités. Ils étaient considérés comme des purificateurs, des initiés. Orphée est parfois comparé aux chamanes et l’orphisme représente une résurgence de la mystique qui précéda la religion grecque. Une sorte de réaction contre le système théologico-politique de l’époque. Le mouvement qui en suivit influença de nombreux domaines tels la sculpture, la peinture, la musique, le chant, la poésie…

Les initiations orphiques (dédiées au dieu Dionysos) se basaient sur une ascèse très rude, des jeûnes et de la musique. Comme la pratique chamanique, l’exercice de privation et de douleur est associé à l’initiation. Le pratiquant rentre ainsi en état de transe et peut accéder à l’extase mystique. Cette pratique rituelle lui permettait de revenir avec des connaissances et avancement spirituel plus subtils.

L’odinisme est la religion des anciens Germains et Scandinaves avant le christianisme. Il nous apprend exactement la même chose dans la pratique rituelle grâce au texte du Havamal qui retranscrit l’exercice sacrificiel du dieu Odin lui-même.

« Je sais que je pendis

A l’arbre battu des vents

Neuf nuits pleines,

Navré d’une lance

Et donné à Odin

Moi-même à moi-même donné,

A cet arbre

Dont nul ne sait

D’où proviennent les racines.

Pont de pain ne me remirent

Ni de coupes;

Je scrutai en dessous,

Je ramassai les runes,

Hurlant, les ramassai,

De là, retombai.

Neuf chants suprêmes

J’appris du fils renommé

De Bölthorn, père de Bestla,

Et je pus boire

Du précieux hydromel

Puisé dans Odredir.

Alors je me mis à germer

Et à savoir,

A croître et à prospérer,

De parole à parole

La parole me menait,

D’acte en acte

L’acte me menait

Tu découvriras les runes

Et les tables interprétées,

Très importantes tables,

Très puissantes tables

Que colora le sage suprême

Et que firent les puissances

Et que grava le Crieur des Dieux. »

Il saute aux yeux l’analogie du rituel, en tous cas dans sa méthode et son but, avec l’orphisme.

Ajoutons à cela que les aptitudes, que va acquérir le dieu Odin grâce à son auto-sacrifice, rejoignent les qualités attribuées aux Orphéotélestes : pouvoir d’incantations, de lancer des charmes, la pratique de la magie, la communication avec les animaux, le pouvoir de s’approprier leurs caractéristiques, …

Le lien avec le chamanisme est évident et on prend conscience à travers ses pratiques très anciennes d’un fond encore plus ancien, dont l’origine se trouve peut-être au paléolithique.

OdinSacrifice2

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