Le thème orphique à travers les âges
Orphée, le héros de la mythologie grècque, naît poète ; d’emblée il apparaît comme le « père des chants », c’est à dire comme un barde. Ni les Muses, ni Apollon, ses ascendants naturels, ne lui font de l’ombre. Avant d’apparaître sur les bords de la mer Noire ou au sommet des montagnes de Thrace, Orphée possède le pouvoir de charmer les animaux et les êtres les plus sauvages. En lui s’incarnent la voix et la musique, le chant qui fait venir à soi, les arbres et les pierres, les poissons et les oiseaux du ciel . Nul autre parmi les dieux et les hommes ne peut rivaliser avec lui. Il est comblé de dons multiples et la légende raconte qu’il ajouta deux cordes à la traditionnelle lyre à sept cordes que lui donna Appolon en hommage aux neuf muses, auxquelles appartenait sa mère. Du mythe et du symbole de la harpe, on retrouve la thématique dans toute l’Europe païenne depuis l’antiquité jusqu’au moyen-âge. En effet, si l’on monte au nord de l’Europe, il est frappant de tomber sur un archétype orphique à travers le héros du cycle héroïque de l’Edda, Gunnar Gjukason. Ce dernier est jeté dans une fosse aux serpents par son ennemi Atli. Il arrive à rendre les serpents inoffensifs en jouant de la harpe, avec ses orteils ! L’auteur Saxo Grammaticus attribuera le même pouvoir au roi Danois Erik Ejegod. Nous sommes donc dans le thème orphique qui d’ailleurs jouira d’un succès durable dans le nord puisqu’il fournira l’argument de plusieurs ballades danoises médiévales, intitulées La Force de la harpe. L’une de ces ballades décrit une harpe qui parle, autre motif bien connu de plusieurs folklores. Il y a aussi une balade faisant allusion à un chant magique capable de forcer les objets à se déplacer, et les gens à danser !… De la même façon dans la mythologie celtique on retrouve le thème de la harpe aux pouvoirs extraordinaires. Ceux entre autres de faire rire, pleurer, s’endormir avec le dieu Dagda. (Voir à ce sujet l’article La harpe symbole de la transe )
Le pouvoir hypnotique de l’instrument est intéressant et renvoie sans doute à un fond originel de pratique rituelle pour communiquer avec les esprits. Soulignons au passage que l’instrument à connotation magique n’est pas à dissocier du chant qui l’accompagne. L’usage du chant dans des rituels magiques est connu des sociétés européennes pré-chrétiennes et se retrouve dans sa forme étymologique latine, « carmen », qui a donné le « charme » (dans sons sens ésotérique).
On se rend compte grâce à l’étude comparative, combien l’image de la harpe renvoie à un fond originel de magie et de transe.