De l’utilisation du chant dans la vie des anciens Germains
A la lecture des Sagas Islandaises, on ne peut qu’être frappé de l’utilisation récurrente du chant pour diffuser des événements jalonnant la vie des clans.
Dans La Saga de Snorri le godi, un personnage nommé Thorarinn rapporte des nouvelles de son clan auprès d’un parent par une série de chants résumant les faits marquants. Il semble que ce procédé soit l’oeuvre de ce que les Celtes auraient qualifié de barde, en tous cas de personnage qualifié pour l’art oratoire et possédant le pouvoir de glorifier les illustres chefs de famille ou de les déshonorer par la satyre. On peut se reporter à l’article complémentaire du blog Le lien historique entre poète et guerrier, ici.
Thorarinn déclame en chantant plusieurs réponses aux interrogations inquiètes de son parent Arnkell :
» Il était à craindre
Qu’il fallût envisager
Une bataille chez moi.
Les épées allaient rageant
Par-dessus les hommes,
Quand la lance mordit le bouclier
Lors de notre rencontre ;
Les épées fendirent les écus. «
Il est à souligner au delà des figures métaphoriques que l’on connaît déjà (l’expression » mordre le bouclier « , les épées vivantes qui » allaient rageant « ), la résignation de Thorarinn dans sa décision, à contre-coeur vraisemblablement, de faire la guerre. Cela démontre que la déclaration de guerre était chose sérieuse et qu’il était important de privilégier la paix entre les familles par des tractations qu’elles avaient l’occasion de plaider aux grandes assemblées juridiques (les fameux Thing). D’ailleurs, il est intéressant à cet égard de citer le proverbe danois (daté de 1757) qui correspond parfaitement à la mentalité de Thorarinn d’éviter la guerre quand cela est encore possible : » les plus braves conseillent le moins la guerre « .
Thorarinn poursuit ainsi :
» Jusqu’à présent
On me disait paisible ;
Je dissuadais
De faire la guerre ;
Souvent pluie battante
Sort de ciel étouffant ;
Que la maîtresse de maison
Apprenne à présent mes paroles. «
Effectivement, la résolution de Thorarinn a été lourde à prendre mais est complètement assumée. L’image de la pluie battante qui sort du ciel étouffant illustre l’issue inexorable de la décision et la justifie par une conséquence naturelle des événements. Le sens de ce kenning fait écho à un genre de proverbe, à la manière d’une fatalité. Ces images chantées en se diffusant de famille en famille devaient ainsi constitué la mémoire de tout un peuple.