Une autre explication du caractère sacré du kenning
Dans un mythe très élaboré, Odin, le dieu suprême des Norrois, est donné pour être « l’inventeur » de la poésie. Il dérobe le nectar poétique et le dépose dans trois récipients, dont l’un s’appelle « Odhrerir », littéralement : « qui meut l’ödhr ». Cette dernière notion étant l’apanage si intime du dieu Odin, qu’il en a tiré son propre nom ; il s’agit de l’ivresse poétique.
Ainsi, on peut penser que le dieu de l’éloquence, ait été le maître de tout savoir, poésie et magie confondues. Son essence propre est d’incarner la science, l’intelligence suprême, la parole telle qu’elle peut s’exprimer dans la transe, l’extase, le chant, le charme magique, l’incantation.
L’expression des kenningar qui fit la gloire des scaldes (poètes islandais du Xème au XIIème siècle), repose sur un tel degré de connaissance allégorique et de symboles ésotériques, qu’il est fort probable que son origine relevait d’une initiation secrète. L’étymologie du mot « scalde » n’a jamais trouvé d’explication satisfaisante, mais des auteurs comme Régis Boyer, lui prête volontiers une signification de caste sacrée.
La structure des textes retrouvés avec l’emploi de kenningar représente une telle somme d’allitérations et de jeux de sonorités, (un genre musical en somme) que l’assimilation à un chant magique ou à une manière d’incantation pourrait aller de soi.
Ce que nous savons des rituels magiques des vikings corrobore l’idée majeure que les kenningar ont joué un rôle essentiel dans leur pratique. En effet, il est attesté que la déclamation de poèmes accompagnait systématiquement les rites, sous forme de chant sacrificiel, et parfois même de choeurs pour faciliter la transe du praticien.
Sachant que le dieu régissant la magie et le savoir ésotérique est le même qui a le pouvoir de provoquer la transe extatique poétique, on ne peut qu’admettre le caractère sacré de son expression à travers les métaphores et autres figures de style.